Le Devoir

Retour à quelque chose d’interrompu

Half Moon Run lance Salt, un disque avec un pied dans le passé et l’autre dans l’avenir

- PHILIPPE PAPINEAU

Prenez des tas d’archives et du nouveau son, faites réduire à petit feu pour faire s’évaporer le superflu, et vous obtiendrez un substrat cohérent, fruit de la sagesse de créateurs qui en savent maintenant assez sur les techniques du métier pour se faire confiance — tout en respectant le produit. C’est, en quelques mots, la recette derrière Salt, le quatrième et tout nouveau disque du groupe montréalai­s Half Moon Run.

Les membres de la formation n’ont pas chômé ces dernières années, malgré la pandémie, en offrant deux petits EP et un disque de versions acoustique­s de leurs propres morceaux. Mais Half Moon Run piaffait quand même de revenir au programme principal, celui de la création d’un album original digne de ce nom — avec assez de chair autour de l’os, pour rester dans la métaphore culinaire.

« Il y avait cette envie de faire quelque chose de clair, dans lequel on pouvait plonger en profondeur, quelque chose en contraste avec ces projets dispersés, qui pouvaient être presque mélangeant­s pour les fans. À un moment, je pensais même à un disque double ! » rigole le multi-instrument­iste Conner Molander, attablé au parc La Fontaine avec son collègue Devon Portielje.

Half Moon Run, complété par Dylan Phillips, ne sera pas allé jusque-là.

Salt offre quand même 11 morceaux qui ne nous laissent pas sur notre faim. Le tout respecte la personnali­té musicale du groupe, qui tend sur l’album à braquer les projecteur­s sur sa personnali­té des premiers moments — notamment certains harmonies et arpèges de guitare.

C’est là une des intentions discrètes, mais réelles derrière le disque du groupe né en trio et qui s’était muté en quatuor lors des deux derniers efforts, avant de redevenir tricéphale avec le départ d’Isaac Symonds à l’été 2020. « En rejouant à trois, il y avait le sentiment de redécouvri­r notre alchimie du début, d’une certaine façon. Et j’hésite à l’admettre, mais il y avait un peu une trajectoir­e que nous avions entamée et qui a été interrompu­e par le fait de la vie, qui a été altérée par… la tournée, par les circonstan­ces, confie prudemment Molander. Il y avait ce sentiment persistant dans le fond de nos têtes que nous n’avions pas fini ce que nous avions commencé. »

La pandémie, explique Devon Portielje, a aussi permis de se plonger dans la création en vase clos, dans une bulle à trois. « On se sentait comme en 2010, et c’était très excitant », s’emballe-t-il.

Cette main tendue aux débuts de Half Moon Run explique en partie le fait que le groupe a procédé, pour Salt,

à des fouilles archéologi­ques dans ses archives pour y piger des titres en chantier ou des oubliées. Ils ont fini par former presque une moitié de la sélection finale.

« On avait cette petite enregistre­use deux pistes qu’on utilisait à chacun de nos jams et on a creusé pas mal, note Devon. Pour la pièce 9beat,

par exemple, on avait 104 reprises dans les dossiers au fil des années. C’est incroyable. Régulièrem­ent, on y revenait, on avançait jusqu’à un certain point avant de s’y perdre et de se dire “au diable cette chanson” et de la mettre de côté pour quelques années. »

La « dé-noeud-de-serpentisa­tion » de cette pièce maudite — qui s’avère un étonnant mélange de rythmes latins et de mélopées folk rock — est en bonne part survenue grâce au réalisateu­r du disque, Connor Seidel, qui a récemment gagné ses galons avec son projet collaborat­if 1969, lors duquel il a rencontré Half Moon Run. La sauce a si bien pris lors de cette session que leur associatio­n pour Salt allait presque de soi pour le trio.

Faire confiance

Half Moon Run était dans une situation où il avait terminé son contrat avec l’étiquette Glassnote, et le trio avait donc les coudées franches pour chaque étape de la création. Dont le choix du réalisateu­r, entre autres choses.

« J’étais toujours agacé par comment on faisait avant, note Conner Molander. Parce qu’au fond, on crée ensemble dans notre local de pratique, entourés de nos haut-parleurs, jouant ensemble. Et, ensuite, on réserve un studio, loin de chez nous, où on enregistre dans différente­s pièces, avec des écouteurs, avec quelqu’un de Londres ou de Los Angeles, qui a des goûts différents et des idées différente­s des nôtres sur ce que le projet devrait être… Pourquoi on fait ça comme ça ? ! »

Ce coup-ci, ç’a été différent. Connor Seidel est installé à Montréal, où il a son propre studio, et il avait des affinités fortes avec le groupe. Half Moon Run a pu se poser en toute confiance et, même, briser quelques règles du studio, comme utiliser un effet de réverbérat­ion à même la première console bas de gamme que le groupe a eue, ou même enregistre­r sans Seidel, les haut-parleurs ouverts. Lors d’une rencontre spontanée à Istanbul, la pièce Crawl Back In a été enregistré­e les fenêtres ouvertes.

Il y avait ce sentiment persistant dans le fond de nos têtes que nous n’avions pas fini ce que nous avions commencé

CONNER MOLANDER

« Mais il y a une fine ligne si tu brises les règles, note Molander. Si ç’avait été la version jeune vingtenair­e de nous-mêmes qui avait pris ces décisions, ça n’aurait pas marché. Il faut savoir ce que tu fais pour briser les règles. Et il faut donc trouver cette place dans ta vie créative pour briser ces règles, en ouvrant les fenêtres. »

Il y avait donc les coudées franches, mais aussi la confiance, et l’expérience qui sont entrées en compte cette fois-ci. « La raison pour laquelle on a enregistré ce disque comme ça, c’est qu’on ne cherchait pas de mentorat sur ce disque, on cherchait un environnem­ent adéquat pour faire ce qu’on fait le mieux. »

Half Moon Run a aussi fait confiance à des alliés naturels pour d’autres sphères, comme pour la pochette et la création de visuels, comme le vidéoclip de la pièce Alco. Le trio a fait appel à Jennifer McCord, qui vit à Londres.

« On lui a dit : et si on partait ensemble, n’importe où dans le monde, la jungle, le désert, en Afrique, peu importe ! Et de toutes les destinatio­ns du monde, elle a choisi l’Oregon ! » Mais après la légère déception du groupe, ce choix a pris tout son sens dans le contexte de la signature sonore de Salt. Devon illustre : « C’est pas urbain, c’est la nature, mais pas une nature hippie, c’est plus brumeux. C’est cohérent avec la côte ouest. » Peutêtre que l’eau du grand bouillon de départ était salée…

On cherchait un

»

environnem­ent adéquat pour faire ce qu’on fait le mieux CONNER MOLANDER

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Conner Molander, Devon Portielje et Dylan Phillips proposent un album qui renoue avec les premières oeuvres du groupe.
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Half Moon Run BMG2 L’album est disponible en kiosque dès aujourd’hui.
Salt Half Moon Run BMG2 L’album est disponible en kiosque dès aujourd’hui.

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