Le Devoir

Un demi-siècle d’immobilism­e urbain ?

« Si on le construisa­it aujourd’hui, Habitat 67 serait encore une architectu­re d’avant-garde »

- ALAIN McKENNA LE DEVOIR

Les cônes orange qu’on voit surgir dès le début du printemps partout au Québec en témoignent : plusieurs des constructi­ons érigées durant la Révolution tranquille atteignent la fin de leur vie utile. C’est le moment de rêver mieux, chanterait Daniel Bélanger. C’est le moment d’être plus audacieux qu’il y a un demi-siècle, dit Moshe Safdie.

« Il s’est passé assez de temps depuis les années 1960 pour que je puisse être assez objectif là-dessus. Et ce que je pense, c’est que j’aimerais pouvoir construire à nouveau ce projet, confie au Devoir l’architecte aujourd’hui octogénair­e. Quand on le voit pleinement réalisé en 3D, c’est comme si on vivait dedans. Et si on le construisa­it aujourd’hui, ce serait encore une architectu­re d’avant-garde. »

Évidemment, Habitat 67 dans sa version numérique ne souffre pas de l’usure du temps. Les infiltrati­ons d’eau, les joints de béton qui s’effritent au fil des ans, tout ça s’oublie facilement dans le métavers… Mais les enjeux auxquels s’attaquait l’architecte à l’époque de nos grands-parents n’ont toujours pas été résolus, force est de le constater.

Voici comment Moshe Safdie voyait le monde dans les années 1960 : « L’étalement urbain n’est pas viable à long terme. Les banlieues demandent trop de terres, d’énergie, de transports. Nous devons ramener les gens en ville, mais les gens préfèrent les maisons, c’est pourquoi ils sont en banlieue. Par conséquent, si nous pouvions réinventer l’immeuble d’appartemen­ts de manière à offrir la qualité de vie d’une maison, avec un jardin, de l’intimité, un accès par une rue ouverte, les gens seraient plus disposés à vivre en ville. »

Singapour, PQ

Il s’est passé assez de temps depuis les années 1960 pour que je puisse être assez objectif là-dessus.

Et ce que je pense, c’est que j’aimerais pouvoir construire à nouveau ce projet. MOSHE SAFDIE

Dans sa version idéale, Habitat 67 était une énorme communauté quasi autonome de 1200 ménages, où la plupart des services — y compris du boulot pour presque tout le monde — sont situés à proximité, à mêmee l’le complexe résidentie­l.

C’est l’antithèse même du développem­ent urbain des 50 dernières années, où le travail se concentre au coeur des zones urbaines et où les nouveaux ménages doivent s’installer dans une périphérie de plus en plus éloignée. À Montréal, près du tiers des travailleu­rs vivent à plus de 30 minutes en voiture de leur lieu de travail.

Et ça, c’est en dehors de l’heure de pointe…

« Montréal connaît une croissance accélérée en ce moment, mais on voit que la ville n’a pas atteint la limite de son développem­ent. Ça ferait pitié qu’on continue de la faire grandir comme avant, avec des logements éloignés des bureaux », dit Moshe Safdie.

L’architecte espère que l’engouement entourant la publicatio­n du projet Hillside fera réfléchir les décideurs locaux. Alors que des villes comme Singapour et Shanghai semblent oser créer des immeubles-quartiers comme celui dont fait rêver Habitat 67, les villes nord-américaine­s semblent préférer le business as usual, déplore-t-il. « J’espère que ce projet ouvrira un peu leurs esprits. »

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