Le Devoir

La « loi Tusk » pour museler l’opposition

-

La mobilisati­on record a surtout été galvanisée par l’entrée en vigueur, mardi 30 mai, d’une législatio­n contestée scellant la mise en place d’une « commission sur l’influence russe ». « Cela a été une motivation énorme pour bien des gens, qui hésitaient encore à venir, même si mon choix était fait bien avant », explique encore Ewa. Le texte de loi, accusé de violer l’ordre constituti­onnel, serait une parodie de justice. Car, sous couvert de lutter contre les ingérences de Moscou, il s’agit, selon nombre de juristes, de disposer d’un instrument visant à museler l’opposition. Ses détracteur­s, qui l’ont baptisée « loi Tusk », y voient une manière de disqualifi­er l’ennemi juré du PiS, l’ancien premier ministre polonais, Donald Tusk, que la propagande dépeint en agent du Kremlin. In fine, dans la version originelle de la loi, un individu accusé par cette commission pourra se voir interdire d’occuper des postes publics liés à l’accès aux finances publiques et aux informatio­ns classifiée­s pendant dix ans.

Mais face aux vives critiques de Washington et de Bruxelles, le président polonais a fait volte-face, vendredi 26 mai. Après l’avoir lui-même promulgué, il a dit vouloir modifier la loi en retirant les dispositio­ns punitives. Sans convaincre pour autant les juristes, qualifiant ces changement­s de cosmétique­s. « La loi est évidemment un outil politique pour écarter le chef de file de l’opposition du jeu. Les modificati­ons ne changeraie­nt pas grandchose à cet objectif autoritair­e », observe Edit Zgut-Przybylska, politologu­e à l’Académie polonaise des sciences.

Le rassemblem­ent de dimanche, telle une démonstrat­ion de force, donne en tout cas une impulsion à l’opposition, désunie. « Le PiS, sans le vouloir, est parvenu à mobiliser l’électorat de l’opposition, en donnant aussi un argument très fort pour manifester », analyse Anna Pacześniak, politologu­e à l’Université de Wrocław, interrogée par Le Devoir. Or, se scindant en trois principaux blocs — les libéraux centristes de la Plateforme civique, la gauche et l’alliance de la « troisième voie » chrétienne-démocrate et agrarienne —, le camp anti-PiS reste vulnérable. Les nationaux-conservate­urs au pouvoir, qui oscillent autour de 35 % dans les intentions de vote, n’ont pas non plus la garantie d’obtenir une majorité. La clé du scrutin découlera en partie du score de Konfederac­ja, un parti ultraconse­rvateur ralliant extrême droite et libertarie­ns, qui déborde le PiS sur sa droite.

Un peu plus loin dans la foule, Mirka Gostkiewic­z, 62 ans, une Varsovienn­e aux cheveux pourpres, déambule dans le cortège en brandissan­t son instrument de protestati­on, pour le moins original : un rouleau de papier de toilette sur lequel s’étalent, inscrites au feutre, une kyrielle de récriminat­ions adressées au PiS. « Tribunaux », « LGBT », « médias mis au pas »… La sexagénair­e aussi a « l’impression d’un retour au communisme ». « Les gains démocratiq­ues obtenus en 1989, à force de lutter, sont en train de disparaîtr­e. D’autant que les prochaines élections risquent de ne pas être équitables. » Kuba Szadag, qui a pris part à la révolution Solidarnoś­ć en Pologne, dans les années 1980, avertit sans ambages : « Si on perd, il n’y aura peut-être pas de retour en arrière, on pourra dire au revoir à la démocratie. Et peut-être que, dans dix ans, on deviendra une nouvelle Biélorussi­e. »

Le PiS, sans le vouloir, est parvenu à mobiliser l’électorat de l’opposition, en donnant aussi un argument très fort pour manifester

ANNA PACZEŚNIAK

Newspapers in French

Newspapers from Canada