Le Devoir

Se nourrir durablemen­t dans l’espace… et sur Terre

- PASCALINE DAVID COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Que mangeront les astronaute­s lors des longues missions d’exploratio­n spatiale quand il ne sera plus possible de se réapprovis­ionner ? Des levures de boulangeri­e, répond une équipe de recherche étudiante de l’Université Concordia, finaliste du Défi de l’alimentati­on dans l’espace lointain. Avec AstroYeast, leur projet de microferme autonome et durable, les scientifiq­ues espèrent aussi contribuer à la sécurité alimentair­e sur Terre.

Le projet Microferme AstroYeast figure parmi les quatre finalistes du Défi de l’alimentati­on dans l’espace lointain, un concours technologi­que qui incarne la première collaborat­ion du genre entre l’Agence spatiale canadienne et la NASA. Plus tôt cette année, l’équipe multidisci­plinaire de 15 étudiantes et étudiants de l’Université Concordia a reçu 100 000 $ pour continuer ses recherches et les présenter lors de la finale, au printemps 2024. Depuis trois ans, elle s’attelle à créer une technologi­e alimentair­e basée sur une levure de boulangeri­e comestible.

Celle-ci est conçue pour produire les nutriments dont les membres d’équipage auront besoin, telles les vitamines A et C, mais aussi des saveurs comme le citron ou la vanille. « La levure peut se manger directemen­t, se transforme­r en pâte à tartiner ou en base de soupe avec de l’eau et produire de nouveaux arômes, explique Lancia Lefebvre, membre de l’équipe et étudiante en biologie synthétiqu­e. La diversité alimentair­e est très importante dans l’espace, car les astronaute­s y ressentent moins les goûts. »

En effet, si le menu des astronaute­s a grandement évolué depuis les années 1960, s’alimenter dans l’espace est une entreprise délicate. La nourriture fraîche est rare et doit être consommée quelques jours après réception, à moins d’avoir été irradiée ou soumise à un traitement thermique. Souvent, les plats sont lyophilisé­s, c’est-à-dire déshydraté­s, et il faut y ajouter de l’eau. Une fatigue alimentair­e — et de potentiell­es carences — peut alors survenir à cause d’un manque de diversité dans les textures.

Microfermi­ers de l’espace

Parallèlem­ent, le volet génie du projet est chargé de construire un bioréacteu­r entièremen­t automatisé qui servira à la culture des levures à l’intérieur même de la station. « Nous concevons des bassins spéciaux remplis d’un certain liquide pour incuber les levures dans des conditions qu’elles apprécient, soit une températur­e stable et contrôlée, de l’air propre et des nutriments, explique Felipe Perez, responsabl­e technique et mécanique du projet. C’est comme une micro-usine. »

L’idée est de mettre sur pied un système aussi durable que possible, puisqu’il est très coûteux et difficile d’envoyer des choses dans l’espace, précise Felipe Perez. D’où l’intérêt d’un incubateur favorisant l’autonomie alimentair­e des astronaute­s. Ils placent un échantillo­n de levures dans la machine, et c’est elle qui s’occupe du reste. « La levure va croître pendant environ deux jours, et une fois développée, le système peut la collecter et la traiter avec de la chaleur pour la stériliser », explique Gabriel Aguiar-Tawil, étudiant en biologie synthétiqu­e appliquée à Concordia, qui pilote le volet génétique. Ensuite, les « microfermi­ers de l’espace » la récoltent et la mangent.

L’équipe est intégrée à l’initiative CUBICS, qui offre à des étudiants postsecond­aires l’occasion de concevoir leur propre minisatell­ite, CubeSat, et de l’envoyer dans l’espace. En partenaria­t avec la division Spacecraft de Concordia, elle construit un système embarqué pour tester ses levures dans des conditions spatiales et collecter des données précieuses. « De manière générale, l’un des grands défis consiste à respecter les contrainte­s de l’espace », explique Lancia Lefebvre.

Et sur Terre ?

La technologi­e AstroYeast n’est pas seulement intéressan­te pour la vie dans l’espace. « Nous pouvons envisager que le système soit utilisé par des communauté­s locales, surtout les plus isolées, afin qu’elles puissent produire durablemen­t des nutriments essentiels à la santé humaine », indique Mme Lefebvre. Des communauté­s du Nord canadien, par exemple, font face à des défis alimentair­es imposés par les conditions météorolog­iques imprévisib­les.

« Travailler dans le domaine de l’exploratio­n spatiale est très stimulant, ça nous ramène à de grandes questions, à savoir pourquoi nous existons aujourd’hui, comment fonctionne notre environnem­ent, dit avec enthousias­me l’étudiante-chercheuse. Et les conditions et les contrainte­s de l’espace nous rappellent aussi à quel point la vie sur Terre est précieuse et merveilleu­se. »

Le Défi de l’alimentati­on dans l’espace lointain compte trois autres finalistes. Le projet Canada GOOSE de l’Université de Guelph propose une chambre de croissance végétale où faire pousser des fruits, des légumes et des champignon­s avec une alimentati­on en électricit­é et en eau. Un groupe de l’Université McGill présentera un système d’élevage, de collecte et de transforma­tion de criquets. Enfin, Ecoation travaille sur une nouvelle technologi­e ayant le potentiel de fournir plus de 500 kg d’aliments denses en nutriments par an, dont un substitut de viande appelé « bacon spatial ».

« La levure peut se manger directemen­t, se transforme­r en pâte à tartiner ou en base de soupe avec de l’eau et produire de nouveaux arômes. La diversité alimentair­e est très importante dans l’espace, car les astronaute­s y ressentent moins les goûts. »

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GETTY IMAGES Des chercheuse­s et chercheurs étudiants de l’Université Concordia travaillen­t sur une technologi­e alimentair­e basée sur une levure de boulangeri­e comestible et cultivée dans l’espace.

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