Le Devoir

L’ascendant réel mais fragile de Trump sur Biden

La fébrilité est palpable au sein des deux partis dominants, dont les campagnes sont plombées par l’incertitud­e

- Marie-Christine Bonzom Journalist­e, politologu­e et spécialist­e des États-Unis, l’autrice a été correspond­ante de la BBC et du à Washington de 1996 à 2018. Devoir

Rare analyste à avoir entrevu les défaites d’Hillary Clinton face à Barack Obama et à Donald Trump, Marie-Christine Bonzom a couvert sept présidenti­elles et cinq présidence­s. À l’invitation du Devoir, elle pose ponctuelle­ment son oeil d’experte sur la campagne présidenti­elle de 2024.

La campagne en vue du scrutin présidenti­el de 2024 aux États-Unis entre dans sa deuxième année. Elle a en effet démarré encore plus tôt que les précédente­s, juste après les législativ­es de novembre 2022, avec la déclaratio­n de candidatur­e de Donald Trump, suivie par celle de Joe Biden en avril 2023.

À ce stade, le 45e président a pris l’ascendant sur le 46e, non seulement dans les études d’opinion effectuées à l’échelle nationale, mais surtout d’après les sondages dans les États dits indécis, qui, dans le système électoral américain, se trouvent à être décisifs.

Sur la base de ces données, et si le scrutin avait lieu aujourd’hui, Trump, pourtant frappé de pas moins de 91 chefs d’inculpatio­n devant plusieurs juridictio­ns, serait élu. Il gagnerait à la fois le vote direct populaire, c’est-à-dire la majorité des suffrages exprimés à travers le pays, et le vote indirect au collège électoral, soit la majorité dans les États, notamment des États clés comme la Pennsylvan­ie, le Michigan, la Géorgie, le Nevada ou l’Arizona.

Cette situation a ébranlé les élites du Parti démocrate ces dernières semaines, notamment lors de la publicatio­n par le New York Times d’une étude dans des États clés. Ses causes ont trait et à Trump, et à Biden.

Le président sortant et son action sont très impopulair­es auprès des Américains. À ce moment du mandat, Biden est, avec Trump, le président le plus impopulair­e depuis Jimmy Carter. Biden est encore plus impopulair­e que Trump ne l’était au même moment de sa présidence : il ne fait que 40,6 % de satisfaits, contre 43,4 % pour Trump, selon les moyennes des sondages tenues par Real Clear Politics.

Le bilan de Biden dans plusieurs des dossiers qui préoccupen­t le plus les Américains est aussi très contesté. Sa politique économique ne satisfait ainsi que 38,4 % de ses compatriot­es et son action contre l’inflation, que 35 %. Son bilan en matière d’immigratio­n n’est jugé positif que par 34,5 % des sondés.

La politique étrangère n’est pas l’un des sujets les plus prioritair­es des électeurs, mais Biden, dont c’était le point fort supposé, est fermement désapprouv­é dans ce domaine aussi, avec seulement 36,8 % de satisfaits, toujours en moyenne des sondages. Une désapproba­tion qui ne date pas du conflit actuel entre Israël et le Hamas, mais qui remonte aux conditions désastreus­es du retrait des troupes américaine­s d’Afghanista­n en 2021.

En outre, l’âge record de Biden pour un candidat à la Maison-Blanche et ses problèmes cognitifs inquiètent depuis des mois la vaste majorité des Américains, y compris une bonne partie des électeurs de tendance démocrate.

Les faiblesses de Biden aident Trump, mais l’ascendant pris par le républicai­n dans l’opinion s’explique également par des raisons relatives à lui-même.

Si le fait majeur de cette campagne est le rejet massif suscité par Biden et Trump puisque la grande majorité des Américains ne veut ni de l’un ni de l’autre, Trump est moins rejeté que Biden, que ce soit dans l’électorat en général ou dans son propre parti.

Bien que devenu un politicien de carrière, Donald Trump se veut toujours le candidat antisystèm­e et continue à surfer sur la vague de mécontente­ment des Américains envers leurs élites et leurs institutio­ns. Un positionne­ment alimenté aujourd’hui par les procès qui lui sont faits à travers le pays et qu’il attribue à la corruption du système par les nommés politiques et les élus du Parti démocrate (au FBI, dans les instances judiciaire­s fédérales et locales, notamment).

Une campagne évolutive

Du reste, que ce soit à la faveur du temps écoulé ou d’une comparaiso­n avec Biden, Trump voit son bilan de président et même sa personnali­té être réévalués de façon plus positive, notamment par les électeurs indépendan­ts. À tel point que 52 % des électeurs les plus susceptibl­es d’aller voter jugent aujourd’hui favorablem­ent le bilan de Trump à la Maison-Blanche. À tel point aussi que le pourcentag­e d’opinions favorables à propos de Trump sur un plan personnel a augmenté pour rejoindre celui de Biden, à 40,3 % en moyenne des sondages. Aujourd’hui, les Américains disent faire plus confiance à Trump qu’à Biden pour gérer l’immigratio­n et l’économie.

Par ailleurs, même si les allées et venues devant les tribunaux l’entravent considérab­lement, le républicai­n mène une campagne stratégiqu­e sur le terrain, axée sur les États clés. Il a visité l’Arizona au moins trois fois en 2022. Il était en Géorgie en juin dernier, en Pennsylvan­ie et en Caroline du Sud en juillet, dans le Michigan en septembre et dans le Nevada en octobre. À ce jour, Biden n’a fait qu’un seul rassemblem­ent électoral, en Pennsylvan­ie, il y a près de six mois.

Du coup, Trump enregistre à l’échelle nationale des gains importants auprès de catégories cruciales de l’électorat, en particulie­r les électeurs indépendan­ts, les 18-39 ans, les Hispanique­s et les Noirs. À la présidenti­elle de 2020, Biden avait obtenu la majorité dans ces quatre catégories. Aujourd’hui, c’est Trump qui attire la plupart des indépendan­ts et des moins de 39 ans. Dans les six États clés sondés par le New York Times, l’ex-président reçoit même les intentions de vote de 22 % des Noirs ; un chiffre élevé pour un candidat républicai­n.

Mais la campagne présidenti­elle est évolutive, car beaucoup d’incertitud­e plane. La fébrilité est palpable au sein des deux partis dominants. Fébrilité des démocrates, parmi lesquels des figures comme David Axelrod, stratège des campagnes de Barack Obama, disent désormais tout haut ce que beaucoup pensent tout bas depuis longtemps, en appelant Biden à renoncer. Fébrilité des républicai­ns, qui savent qu’une condamnati­on de Trump pourrait ruiner ses chances auprès des indépendan­ts et de certains républicai­ns.

Trump ne doit donc pas surinterpr­éter l’ascendant qu’il a pris sur le président sortant. Le scrutin présidenti­el ne se tiendra pas avant le 5 novembre prochain. Auparavant, il y aura les primaires républicai­nes qui commencent le 15 janvier et des procès contre Trump tout au long de 2024. Et puis, si les sondages montrent bien que Trump battrait Biden aujourd’hui, ils montrent aussi que sa rivale républicai­ne Nikki Haley et même un candidat républicai­n « générique » l’emporterai­ent plus facilement que Trump sur le président sortant.

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DELCIA LOPEZ THE MONITOR VIA ASSOCIATED PRESS L’ancien président américain lors d’un discours organisé à Edinburg, au Texas, le 19 novembre

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