L’ascendant réel mais fragile de Trump sur Biden
La fébrilité est palpable au sein des deux partis dominants, dont les campagnes sont plombées par l’incertitude
Rare analyste à avoir entrevu les défaites d’Hillary Clinton face à Barack Obama et à Donald Trump, Marie-Christine Bonzom a couvert sept présidentielles et cinq présidences. À l’invitation du Devoir, elle pose ponctuellement son oeil d’experte sur la campagne présidentielle de 2024.
La campagne en vue du scrutin présidentiel de 2024 aux États-Unis entre dans sa deuxième année. Elle a en effet démarré encore plus tôt que les précédentes, juste après les législatives de novembre 2022, avec la déclaration de candidature de Donald Trump, suivie par celle de Joe Biden en avril 2023.
À ce stade, le 45e président a pris l’ascendant sur le 46e, non seulement dans les études d’opinion effectuées à l’échelle nationale, mais surtout d’après les sondages dans les États dits indécis, qui, dans le système électoral américain, se trouvent à être décisifs.
Sur la base de ces données, et si le scrutin avait lieu aujourd’hui, Trump, pourtant frappé de pas moins de 91 chefs d’inculpation devant plusieurs juridictions, serait élu. Il gagnerait à la fois le vote direct populaire, c’est-à-dire la majorité des suffrages exprimés à travers le pays, et le vote indirect au collège électoral, soit la majorité dans les États, notamment des États clés comme la Pennsylvanie, le Michigan, la Géorgie, le Nevada ou l’Arizona.
Cette situation a ébranlé les élites du Parti démocrate ces dernières semaines, notamment lors de la publication par le New York Times d’une étude dans des États clés. Ses causes ont trait et à Trump, et à Biden.
Le président sortant et son action sont très impopulaires auprès des Américains. À ce moment du mandat, Biden est, avec Trump, le président le plus impopulaire depuis Jimmy Carter. Biden est encore plus impopulaire que Trump ne l’était au même moment de sa présidence : il ne fait que 40,6 % de satisfaits, contre 43,4 % pour Trump, selon les moyennes des sondages tenues par Real Clear Politics.
Le bilan de Biden dans plusieurs des dossiers qui préoccupent le plus les Américains est aussi très contesté. Sa politique économique ne satisfait ainsi que 38,4 % de ses compatriotes et son action contre l’inflation, que 35 %. Son bilan en matière d’immigration n’est jugé positif que par 34,5 % des sondés.
La politique étrangère n’est pas l’un des sujets les plus prioritaires des électeurs, mais Biden, dont c’était le point fort supposé, est fermement désapprouvé dans ce domaine aussi, avec seulement 36,8 % de satisfaits, toujours en moyenne des sondages. Une désapprobation qui ne date pas du conflit actuel entre Israël et le Hamas, mais qui remonte aux conditions désastreuses du retrait des troupes américaines d’Afghanistan en 2021.
En outre, l’âge record de Biden pour un candidat à la Maison-Blanche et ses problèmes cognitifs inquiètent depuis des mois la vaste majorité des Américains, y compris une bonne partie des électeurs de tendance démocrate.
Les faiblesses de Biden aident Trump, mais l’ascendant pris par le républicain dans l’opinion s’explique également par des raisons relatives à lui-même.
Si le fait majeur de cette campagne est le rejet massif suscité par Biden et Trump puisque la grande majorité des Américains ne veut ni de l’un ni de l’autre, Trump est moins rejeté que Biden, que ce soit dans l’électorat en général ou dans son propre parti.
Bien que devenu un politicien de carrière, Donald Trump se veut toujours le candidat antisystème et continue à surfer sur la vague de mécontentement des Américains envers leurs élites et leurs institutions. Un positionnement alimenté aujourd’hui par les procès qui lui sont faits à travers le pays et qu’il attribue à la corruption du système par les nommés politiques et les élus du Parti démocrate (au FBI, dans les instances judiciaires fédérales et locales, notamment).
Une campagne évolutive
Du reste, que ce soit à la faveur du temps écoulé ou d’une comparaison avec Biden, Trump voit son bilan de président et même sa personnalité être réévalués de façon plus positive, notamment par les électeurs indépendants. À tel point que 52 % des électeurs les plus susceptibles d’aller voter jugent aujourd’hui favorablement le bilan de Trump à la Maison-Blanche. À tel point aussi que le pourcentage d’opinions favorables à propos de Trump sur un plan personnel a augmenté pour rejoindre celui de Biden, à 40,3 % en moyenne des sondages. Aujourd’hui, les Américains disent faire plus confiance à Trump qu’à Biden pour gérer l’immigration et l’économie.
Par ailleurs, même si les allées et venues devant les tribunaux l’entravent considérablement, le républicain mène une campagne stratégique sur le terrain, axée sur les États clés. Il a visité l’Arizona au moins trois fois en 2022. Il était en Géorgie en juin dernier, en Pennsylvanie et en Caroline du Sud en juillet, dans le Michigan en septembre et dans le Nevada en octobre. À ce jour, Biden n’a fait qu’un seul rassemblement électoral, en Pennsylvanie, il y a près de six mois.
Du coup, Trump enregistre à l’échelle nationale des gains importants auprès de catégories cruciales de l’électorat, en particulier les électeurs indépendants, les 18-39 ans, les Hispaniques et les Noirs. À la présidentielle de 2020, Biden avait obtenu la majorité dans ces quatre catégories. Aujourd’hui, c’est Trump qui attire la plupart des indépendants et des moins de 39 ans. Dans les six États clés sondés par le New York Times, l’ex-président reçoit même les intentions de vote de 22 % des Noirs ; un chiffre élevé pour un candidat républicain.
Mais la campagne présidentielle est évolutive, car beaucoup d’incertitude plane. La fébrilité est palpable au sein des deux partis dominants. Fébrilité des démocrates, parmi lesquels des figures comme David Axelrod, stratège des campagnes de Barack Obama, disent désormais tout haut ce que beaucoup pensent tout bas depuis longtemps, en appelant Biden à renoncer. Fébrilité des républicains, qui savent qu’une condamnation de Trump pourrait ruiner ses chances auprès des indépendants et de certains républicains.
Trump ne doit donc pas surinterpréter l’ascendant qu’il a pris sur le président sortant. Le scrutin présidentiel ne se tiendra pas avant le 5 novembre prochain. Auparavant, il y aura les primaires républicaines qui commencent le 15 janvier et des procès contre Trump tout au long de 2024. Et puis, si les sondages montrent bien que Trump battrait Biden aujourd’hui, ils montrent aussi que sa rivale républicaine Nikki Haley et même un candidat républicain « générique » l’emporteraient plus facilement que Trump sur le président sortant.