Passer d’un Québec concentré à un Québec distribué
La planification territoriale devrait concilier croissance urbaine et protection des terres agricoles
La croissance urbaine est une tendance lourde. Comme partout ailleurs, la société québécoise poursuit son développement à travers un processus d’urbanisation et plus spécifiquement de métropolisation. Les communautés métropolitaines de Montréal et de Québec regroupent 61 % de la population de la province, et 67 % de la valeur des biens et services produits (PIB) y est concentrée.
L’Institut de la statistique du Québec prévoit que la région administrative de Montréal et les MRC adjacentes pourraient accueillir 82 % de la croissance démographique du Québec attendue entre 2016 et 2041, soit 926 000 du 1,1 million de personnes. Ces prévisions risquent fort de se réaliser si rien de déterminant n’est accompli en matière d’aménagement du territoire.
Depuis les années 1950, les terres agricoles ont servi de matière première aux ambitions expansionnistes des villes. Avec la généralisation de l’automobile et la popularité de la maison individuelle avec jardin, les villes se sont étalées.
Malgré la prise de conscience des problèmes environnementaux, économiques et sociaux générés par ce mode de développement ; malgré l’adoption en 1978 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (qui a été en partie pervertie depuis par les pressions des spéculateurs, promoteurs et bâtisseurs urbains ainsi que par les municipalités en quête de taxes foncières), les villes, notamment Montréal et Québec, ont continué à s’étaler sur les meilleures terres agricoles de la vallée du Saint-Laurent. « Depuis 1998, environ 57 000 hectares de terres cultivables ont été artificialisés, ce qui correspond à la superficie de 12 terrains de football par jour depuis 25 ans », calculent l’Union des producteurs agricoles et Équiterre.
Renforcer la protection des bonnes terres agricoles
Pour mettre un frein à l’étalement urbain et à la dilapidation des terres agricoles, il faut reprendre le contrôle du zonage agricole et durcir son application, principalement dans la vallée du Saint-Laurent et ses vallées subsidiaires, où se concentrent les meilleurs sols. Sur les plateaux laurentien et appalachien, il y a abondance de sols de piètre qualité (de catégories 5, 6 et 7) souvent en friche ou désertés par l’activité agricole.
Dans bien des cas, ces terres sont dans des municipalités aux prises avec des problématiques de développement qui ont besoin de nouvelles populations et de diversification économique plus que de mesures de protection. Ici, le zonage agricole devra faire preuve de plus de souplesse. N’est-ce pas d’ailleurs ce que réclamait le président de la Commission de protection du territoire agricole, Bernard Ouimet, dans son rapport de 2002-2003 déposé à l’Assemblée nationale : « Là où la diversité des usages dans les secteurs dévitalisés des zones agricoles est nécessaire pour assurer la survie de plusieurs régions, nous croyons que la législation même doit traduire cette réalité dans les moyens confiés à la Commission. »
Il s’agit de remplacer le mur à mur par le principe de différenciation qui prend en compte les spécificités territoriales. Le Québec a aussi pour mission de promouvoir et d’accompagner le développement des communautés en région.
Densifier les périmètres urbains
Une deuxième voie pour freiner l’étalement urbain et protéger les bonnes terres agricoles est la densification des villes, c’est-à-dire le fait qu’une population plus nombreuse vive dans un même espace urbain. Une plus grande densité ne se limite pas aux tours résidentielles, commerciales ou d’affaires.
Il y a une densification à visage humain à définir, dont une règle de base se trouve dans la mixité des fonctions et la mixité des différents types d’habitations dans le respect d’un rapport optimal du nombre d’habitations par unité de surface. Le principe de la mixité des fonctions vise à ce que la population des différents secteurs de la ville trouve à proximité ce qui est essentiel à la vie : se loger, faire ses courses, travailler, se divertir, se cultiver, faire du sport, se soigner, etc. La mixité de l’habitation répond au besoin de se loger de la population selon les conditions socio-économiques, la taille et la composition des ménages.
Passer du modèle concentré au modèle multipolaire
La croissance illimitée de l’agglomération métropolitaine de Montréal génère des problèmes de plus en plus difficiles à gérer et coûteux à résoudre. Pensons à la seule question de la mobilité !
La croissance illimitée de l’agglomération métropolitaine de Montréal génère des problèmes de plus en plus difficiles à gérer et coûteux à résoudre. Pensons à la seule question de la mobilité !
Le Québec compte 17 régions, 87 MRC, 131 villes et 1000 villages. Dans les prochaines semaines, le ministère des Affaires municipales dévoilera les nouvelles orientations gouvernementales en aménagement du territoire. Il prendrait une décision avisée et courageuse en proposant parmi celles-ci la consolidation des pôles secondaires et tertiaires en région, et l’amélioration de leur attractivité et de leur compétitivité pour y accueillir une part accrue de la croissance démographique et économique du Québec, assurant ainsi le passage d’un Québec concentré à un Québec distribué. Les cités régionales et les municipalités de centralité deviendraient ainsi des pôles d’équilibre.
Dans une vision globale et intégrée de planification territoriale, que soient réunies ces trois démarches (zonage agricole modernisé, densification des périmètres urbains, déconcentration géographique) pour une occupation et une vitalité des territoires plus équilibrées et une diminution de la pression de croissance sur l’agglomération métropolitaine de Montréal et… sur les bonnes terres agricoles avoisinantes.