L’objet rêvé
Deux artistes, Manon De Pauw et Stephen Schofield, auscultent notre rapport aux objets afin d’y opérer une métamorphose
Les technologies ont bon dos. Seules, par elles-mêmes, elles seraient responsables des profondes transformations de notre monde… On commence enfin à dénoncer le fait que les technologies sont de nos jours instrumentalisées par des intérêts économiques, des compagnies avides de profits, comme le furent les machines lors de l’industrialisation. Mais il y a plus. Notre dépendance à ces technologies est dictée par tout un réseau de discours et de valeurs auxquelles nous adhérons. Elles nous permettraient d’être plus productifs et plus compétitifs dans ce monde de concurrence mondiale. N’est-ce pas raisonnable de penser ainsi ? C’est aussi toute une vision de la modernité qui s’incarne dans la technologie. C’est notre croyance en son pouvoir qu’il faudrait remettre en questionne. Il faudrait en finir avec bien des clichés, comme celui de la technologie comme source absolue de progrès, ou celle de l’utopie de liberté augmentée qu’elle nous offrirait. Pour le dire succinctement, la technologie nous fait littéralement fantasmer…
Détournements fantasmatiques
Dans son expo à la galerie B-312, l’artiste Manon De Pauw met en scène ces écrans, ceux des téléphones et des tablettes, qui, en un peu plus de 15 ans, ont pris dans nos vies l’importance que l’on sait. Certes, De Pauw nous rappelle les effets hypnotiques de ces écrans, mais elle dépasse ce niveau de lecture en les plaçant dans un cadre esthétique historique. On n’est pas loin de la caverne de Platon ou de la surface miroitante dans laquelle s’est perdu Narcisse…
Dans le texte de présentation, Alanna Thain cite l’écrivain Maxime Gorki, qui découvrit le cinématographe des frères Lumière, symbole du capitalisme industriel et triomphant, en juillet 1896 à l’Exposition industrielle et artistique de Nijni Novgorod. Un an après l’invention du cinéma, Gorki critiquait les premiers films en ces termes : « royaume des ténèbres » qui « trouble et déprime. Il semble être de mauvais augure, étant saturé d’un obscur sens sinistre, qui fait défaillir le coeur. On oublie où l’on est. Des visions étranges envahissent l’esprit, et la conscience s’assombrit et s’éclipse ». Le problème n’est donc pas nouveau…
Dans son installation, De Pauw nous montre comment les écrans et la technologie contemporaine peuvent être détournés de leur fonction première d’une manière féerique. Elle nous offre ici un original théâtre des ombres grâce à une collaboration avec le chorégraphe Pierre-Marc Ouellette, avec qui elle a déjà travaillé — entre autres à la création de deux performances interdisciplinaires, La matière ordinaire en 2014 à l’Usine C et Cocons somatiques en 2017 à l’Agora de la danse —, et de quatre danseurs interprètes, Karina Champoux, Philippe Dépelteau, Luce Lainé, Mya Thérésa Métellus. Une approche qui fera penser aux objets empêchés des surréalistes…
Formes de l’imaginaire
Toujours du côté de l’utilisation d’objets transformés d’une manière poétique grâce à la force de l’imaginaire, il faudra aussi aller voir l’exposition de Stephen Schofield. Dans une des oeuvres de Schofield, intitulée L’enveloppe, on pourra déjà reconnaître un
Refoulées surréalistes
Le mouvement surréaliste a souvent et justement été dénoncé comme étant misogyne. Fut-il pour autant un mouvement sans femmes ? L’été dernier, à Paris, au Musée de Montmartre, était présentée l’exposition Surréalisme au féminin ?, qui a bien démontré l’importance d’une cinquantaine d’artistes femmes — dont la Québécoise Mimi Parent (1924-2005) — dans ce mouvement. Une étude de la professeure Andrea Oberhuber permet d’approfondir cette incontournable présence au sein du mouvement surréaliste. Dans ce livre, qui représente un impressionnant travail de recherche, l’autrice nous parle des ouvrages surréalistes au féminin, réalisés à quatre mains. Les livres de Claude Cahun (née Lucy Schwob), de Marcel Moore (née Suzanne Malherbe), de Lise Deharme, de Leonora Carrington, de Dorothea Tanning, d’Unica Zürn, de Valentine Penrose, de Leonor Fini sont ici étudiés avec grande attention et finesse. objet bien commun à Montréal, un cône orange… Mais le processus de création de Schofield va plus loin que celui de l’appropriation d’objets du quotidien. Comme il l’explique à propos de ses sculptures, « la genèse de chaque pièce correspond à un objet simple qui se trouve dans mon atelier, mais les sculptures ne sont pas nécessairement une représentation de cet objet ». Il s’inspire donc des formes d’« une roue, d’une tasse, d’un paquet et d’un sac » pour créer des oeuvres où le monde est comme réinventé…
L’artiste a aussi décidé de montrer des dessins anciens, de 1983, représentant un bébé jouant avec une balle et un cube. Si la valeur onirique de ces objets pour l’esprit d’un enfant est indéniable, Schofield nous rappelle que pour les adultes, le monde matériel est aussi une possibilité de projeter l’imaginaire humain.
Lueurs oniriques
De Manon De Pauw, en collaboration avec Pierre-Marc Ouellette et le musicien Nicolas Bernier.
À la galerie B-312, jusqu’au 21 décembre.
Instruments of Joy
De Stephen Schofield.
À la galerie McBride contemporain, jusqu’au 16 décembre.