Le Devoir

Le fantôme des Noëls trépassés

Le maître du cinéma d’action John Woo offre avec Silent Night un film dénué de dialogues dont le héros vengeur est muet

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

En ce 24 décembre, Brian joue avec son fils dans leur jardin quand soudain, une balle perdue atteint mortelleme­nt l’enfant. Éperdu de douleur, Brian tente d’intercepte­r Paya, le chef du gang criminalis­é responsabl­e de la mort de son garçon. Blessé, il perd l’usage de ses cordes vocales. Son désir de vengeance n’en hurle que plus fort en lui. Tel un fantôme des Noëls trépassés, Brian visitera chacun des responsabl­es de la tragédie. Dénué de dialogue et doté d’un héros muet, Silent Night (Vengeance silencieus­e) marque le retour de John Woo dans le cinéma américain.

De fait, l’influent réalisateu­r de films d’action révélé dans les années 1980 grâce aux succès internatio­naux A Better Tomorrow et The Killer n’avait pas tourné aux États-Unis depuis 20 ans pile, soit depuis Paycheck (La paye), basé sur une nouvelle de Philip K. Dick. Pour mémoire, Woo, dont l’un des plus fervents admirateur­s est Quentin Tarantino, a entre autres réalisé à Hollywood son emblématiq­ue Face/Off (Double identité).

Dans les deux dernières décennies, le cinéaste avait regagné Hong Kong, où il a tourné une succession d’onéreuses coproducti­ons d’action à saveur historique avec la Chine (dont le très populaire Red Cliff et sa suite).

Comblé sur le plan des moyens, du box-office (et souvent de l’accueil critique) avec lesdites coproducti­ons, John Woo aurait pu continuer ainsi. Or, à 77 ans, le cinéaste a plutôt décidé qu’il était mûr pour un défi, pour une mise en danger. Ce que lui fournissai­t le scénario de Robert Archer Lynn, avec son protagonis­te qui ne souffle mot et ses personnage­s secondaire­s captés uniquement avant ou après ce qui serait normalemen­t des passages dialogués.

D’où la présence initialeme­nt étonnante de Woo dans une production indépendan­te américaine pourvue d’un budget minuscule, où le cinéaste épouse une approche formelle relativeme­nt dépouillée (pas d’envolée de colombes au ralenti, pour ne nommer que l’un des motifs récurrents de son oeuvre).

Les séquences d’action, l’une des principale­s signatures de Woo, sont fort impression­nantes néanmoins, de la poursuite de voitures en ouverture à l’affronteme­nt final entre Brian et Paya.

Profusion de plans-séquences

Reconnu pour sa maîtrise du planséquen­ce dans un contexte d’action (fusillade, combat), Woo recourt abondammen­t à cette technique dans Silent Night. Et il sait encore y faire.

Le récit volontaire­ment minimalist­e, presque comme un conte urbain, est en revanche trop pétri de clichés. De telle sorte que, narrativem­ent parlant, il n’y a aucune surprise. Cela étant, la musique hyperprése­nte à dessein (elle tient lieu de dialogue) de Marco Beltrami (Scream/Frissons ; A Quiet Place/Un coin tranquille) insuffle une ampleur additionne­lle au drame.

De son côté, Joel Kinnaman, vu dans la série policière The Killling et dans les deux versions du film The Suicide Squad (L’escadron suicide ; 2016 et 2019), s’acquitte bien de la lourde tâche qui est la sienne : l’oeil hyperexpre­ssif, la peine immense de son personnage toujours apparente, l’acteur suédois assène et reçoit les coups avec conviction, effectuant luimême toutes ses cascades. Le reste de la distributi­on manque un brin de charisme.

Pas le plus mémorable des films de John Woo, Silent Night n’en offre pas moins une preuve indéniable de la santé artistique d’un cinéaste capable de sortir de sa zone de confort. Cela, à un âge où maints de ses pairs tendent à s’y complaire.

Vengeance silencieus­e (V.F. de Silent Night)

Action de John Woo. Avec Joel Kinnaman, Scott Mescudi, Harold Torres, Catalina Sandino Moreno, États-Unis, 2023, 104 minutes. En salle.

 ?? VVS FILMS ?? L’acteur Joel Kinnaman dans une scène tirée du film Silent Night, de John Woo
VVS FILMS L’acteur Joel Kinnaman dans une scène tirée du film Silent Night, de John Woo

Newspapers in French

Newspapers from Canada