Le recteur de l’UdeM appréhende la perte de « cerveaux »
Daniel Jutras craint le départ de plusieurs chercheurs en raison du sous-financement de la recherche au pays
Aux prises avec un problème de « sousfinancement » chronique qui affecte notamment le milieu de la recherche, l’Université de Montréal (UdeM) dit craindre de « perdre des cerveaux », et surtout d’avoir de plus en plus de difficulté à recruter des chercheurs « de grand calibre ».
Le Devoir s’est entretenu pendant une heure mercredi avec le recteur de l’UdeM, Daniel Jutras, dans le contexte d’une campagne philanthropique lancée récemment par l’Université dans l’espoir de recueillir 1 milliard de dollars. Déjà, en date de mercredi, 600 millions avaient été récoltés.
« On veut affirmer qu’on n’est pas les cancres de la philanthropie au Canada et en Amérique du Nord », lance M. Jutras, qui note un écart flagrant entre la capacité des universités francophones et celle des universités anglophones — au Québec comme ailleurs au pays, sans parler des ÉtatsUnis — d’obtenir des dons de la part d’anciens étudiants et de diverses organisations. C’est ainsi que l’Université McGill compte un fonds de dotation de 2 milliards de dollars, tandis que celui de l’UdeM, un établissement de taille comparable, s’élève à 400 millions de dollars. « On est vraiment en retard », poursuit M. Jutras, qui souhaite convaincre les étudiants de son établissement qu’ils ont une « dette envers leur université », qu’ils se doivent de rembourser au cours de leur vie.
Des infrastructures vétustes
Une fois cette campagne terminée, l’UdeM entend notamment investir les sommes récoltées dans divers projets visant à « rehausser la qualité de l’expérience étudiante ». À cet égard, Daniel Jutras évoque entre autres l’ajout « d’espaces de qualité » pour les étudiants, qui manquent actuellement sur le campus de l’université. « On n’a pas de maison des étudiants à l’Université de Montréal, d’agora en quelque sorte, où les étudiants pourraient avoir des espaces de convivialité, mais aussi avoir accès à tous les services de la vie étudiante », explique M. Jutras, qui note également l’importance d’agrandir et de mettre au goût du jour le centre sportif de l’UdeM.
M. Jutras n’écarte d’ailleurs pas l’idée de piger éventuellement dans cette cagnotte afin de financer certains travaux de réfection majeurs auxquels l’Université doit procéder sur plusieurs de ses bâtiments qui sont dans un état de vétusté « extrêmement significatif », et qui exigeront des investissements « astronomiques ». Actuellement, le gouvernement Legault évalue à 459 millions de dollars les sommes à investir pour rénover le campus universitaire.
« Mais nous, quand on évalue ce qu’on aurait besoin de faire, on est plus proches du milliard », dit le recteur. Il indique à titre d’exemple que, pour remplacer chaque fenêtre du pavillon Roger-Gaudry, l’Université doit débourser 40 000 $, le caractère patrimonial de cette grande tour faisant exploser la facture.
Un financement « fragile »
Si M. Jutras assure que cet appel aux dons ne se veut pas une réponse au « sous-financement » des universités publiques et de la recherche au Québec, il reconnaît que le manque de fonds débloqués par Québec et Ottawa à cette fin les « place dans une position fragile à plusieurs égards ». C’est ainsi que l’UdeM a effectué au cours des dernières semaines des démarches auprès du gouvernement du Québec afin qu’il rehausse son financement destiné à couvrir « les coûts de système » des universités.
« On constate qu’on a des besoins très importants qui résultent du sousfinancement universitaire », indique le recteur, en poste depuis 2020. Cette situation, combinée au manque de fonds destinés à la recherche en provenance d’Ottawa, fait en sorte que l’UdeM peine parfois à conserver ses chercheurs universitaires les plus renommés et à en recruter de nouveaux. Or « on a besoin d’une masse critique de chercheurs de haut niveau, de grand calibre. Il faut qu’on soit capables de les recruter », affirme M. Jutras, qui fait également état de « difficultés de recrutement » de professeurs au sein de certaines facultés de l’UdeM.
Le manque de financement de la recherche place par ailleurs le Canada dans une situation périlleuse qui a été particulièrement notable dans les dernières années, lorsque le pays s’est retrouvé dépendant notamment des États-Unis pour s’approvisionner en vaccins contre la COVID-19. « Il y a un effort social, un effort politique à faire pour soutenir la recherche, non seulement parce qu’on constate que c’est un vecteur extrêmement important de développement social et économique, mais aussi parce que la dépendance des pays à la recherche qui s’effectue ailleurs est un danger réel », relève ainsi M. Jutras.
La menace américaine
Le recteur s’inquiète d’autre part des dérives à la liberté universitaire qui se sont manifestées aux États-Unis ces derniers mois. En Floride, d’influents républicains — le gouverneur Ron DeSantis en tête — s’en sont pris aux universités de l’État américain afin de tenter d’y imposer certaines visions idéologiques conservatrices. Elizabeth Magill, présidente de l’Université de la Pennsylvanie, a quant à elle annoncé sa démission en décembre dernier après avoir été sous le feu des critiques en raison de ses prises de position au sujet de l’antisémitisme sur le campus de son établissement.
« C’est inquiétant, ce qu’on voit aux États-Unis, ce qu’on constate sur les campus américains », relève Daniel Jutras, qui note « une espèce de mise en examen des universités » dans l’environnement américain. « Et c’est un mouvement qui est dangereux », ajoute le recteur, en soulignant l’importance de « ne pas importer ce modèlelà » ici, au Québec, afin de protéger « la liberté académique » en milieu universitaire.
On a besoin d’une masse critique de chercheurs de haut niveau, de grand » calibre. Il faut qu’on soit capables de les recruter. DANIEL JUTRAS