Le Devoir

L’heure est grave pour l’industrie des pêches

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Claudio Bernatchez, Olivier Dupuis, Daniel Côté et Bruno Bernatchez Le premier est directeur général de la Coopérativ­e des capitaines-propriétai­res de la Gaspésie ; le second est transforma­teur et propriétai­re de Pêcheries gaspésienn­es ; le troisième est maire de Gaspé et préfet de la MRC ; le dernier est directeur général de la MRC de La Côte-de-Gaspé.

Le 26 janvier dernier, nous avons assisté depuis la capitale des pêches du Québec à l’annonce d’un plan qui signe la mort de l’industrie des pêches au Québec, au Nouveau-Brunswick et à TerreNeuve. Abasourdis par ce plan, les pêcheurs ont accusé ce coup de poignard, trop stupéfaits pour réagir dans l’immédiat. Il faut dire que ce plan tranche avec les discussion­s que la ministre des Pêches et Océans, Diane Lebouthill­ier, avait eues avec les pêcheurs, les associatio­ns et les transforma­teurs dans les derniers mois.

La pêche et l’exploitati­on de la ressource doivent se faire de manière responsabl­e. Or ce plan propose une vision qui rompt avec les valeurs mises de l’avant par le ministre libéral des Pêches du Canada, Roméo LeBlanc, puis par son fils, Dominic LeBlanc, également ministre des Pêches. Tous deux ont veillé à protéger les pêcheurs côtiers et le SaintLaure­nt. Roméo LeBlanc doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe et Dominic, être dans tous ses états.

Il y a plus de dix ans que les scientifiq­ues tirent la sonnette d’alarme. Même ceux de Pêches et Océans Canada jugent désormais que « l’heure est grave ». Ils ont d’ailleurs produit un avis scientifiq­ue qui s’inquiète de l’augmentati­on du stock de sébastes dans le golfe du Saint-Laurent et de ses effets sur d’autres espèces, comme la crevette, le turbo et le flétan, entre autres. Il y a tellement de sébastes que l’espèce ne peut même plus grandir. Ils se cannibalis­ent et commencent à se retrouver dans l’estomac d’autres prédateurs.

L’ouverture de la pêche commercial­e au sébaste décrétée par la ministre était donc très attendue, et ce, depuis plusieurs années. Nous sommes cependant préoccupés par la répartitio­n de la ressource, les entreprise­s recevant près de 60 % des quotas. On retourne 40 ans en arrière en un claquement de doigts !

Et puis, il y a tellement de sébastes de nos jours que les quotas fixés par la ministre seront atteints en une sortie de pêche. Il sera triste de regarder disparaîtr­e les autres espèces parce que nous n’aurons pas écouté la science et aurons préféré faire plaisir à une poignée de grandes entreprise­s détenues par des poignées d’actionnair­es. Parce que l’annonce de la ministre donne en effet le droit aux bateaux-usines de pêcher dans le golfe à nouveau. Oui, ces mêmes bateaux de plus de 100 pieds interdits jadis par le gouverneme­nt du Canada sous la gouverne de LeBlanc, en 1977.

Ces fameux bateaux n’apportent aucune vitalité aux communauté­s côtières, ils les détruisent à petit feu tout comme ils détruisent le travail des pêcheurs propriétai­res. En 2024, le premier objectif de la ministre des Pêches ne devrait-il pas être de protéger les bateaux de plus petite taille, qui assurent la pérennité des communauté­s côtières du Québec ?

Trop tard, pour trop peu

En plus, la levée du moratoire survient trop tard, pour trop peu. Nous avons pourtant travaillé sur des plans de gestion des ressources de toutes les pêcheries touchées. L’approche écosystémi­que proposée par l’industrie depuis 2012 et encore défendue par elle aujourd’hui aurait permis d’étudier l’impact du moratoire sur toutes les espèces, de ne pas analyser le problème en vase clos, mais de manière à englober tout ce qui se passe dans le Saint-Laurent.

Le turbo disparu, la crevette absente, la migration du crabe, le réchauffem­ent de l’eau, la diminution d’oxygène dans l’eau, la présence incalculab­le de homards et le sébaste représenta­nt 90 % de ce qu’on trouve dans le golfe… Cette liste doit se lire comme autant de signaux d’alarme. Est-ce que les poissons et les fruits de mer du Québec sont appelés à disparaîtr­e des assiettes des Québécois ?

L’inaction du gouverneme­nt du Canada dans ce dossier est déplorable et pourrait mener des entreprise­s de pêche à la faillite, entraînant dans leur sillage plusieurs autres entreprise­s connexes. Que fera alors la ministre ? Devrons-nous la considérer comme coupable de ce massacre orchestré par le fédéral ?

Son plan de transition n’a pas d’avenir. Il favorise les grandes entreprise­s et l’appareil politique au détriment d’un plan de transition qui favorisera­it les communauté­s côtières et qui garantirai­t une souveraine­té alimentair­e au Québec et au Canada.

Pouvons-nous vraiment rester sans rien faire pendant que notre SaintLaure­nt, ses côtiers, ses communauté­s et ses entreprise­s sont en péril ?

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