Le crescendo des lamentations
Un quatuor de ministres caquistes a ajouté sa voix cette semaine au crescendo de lamentations sur l’épineux dossier des demandeurs d’asile. Même si le Québec en accueille plus que sa part relative et plaide pour une meilleure répartition, Ottawa répond timidement et laisse traîner le dossier, ce qui cause indignation et exaspération. Bien que sur le fond, le gouvernement Legault ait parfaitement raison de noter qu’il frôle la surcapacité, gare aux maladresses dans la manière de livrer le message, car elles pourraient nourrir l’intolérance.
Mardi dernier, les ministres Christine Fréchette (Immigration), Jean-François Roberge (Relations canadiennes), Bernard Drainville (Éducation) et Chantal Rouleau (Solidarité sociale) ont déroulé un tapis de chiffres venant démontrer que le Québec reçoit plus que sa part des demandeurs d’asile qui entrent au Canada au point où sa capacité à livrer les services requis est mise à mal. « Ça craque aux coutures », a confié Bernard Drainville, un habitué des métaphores. En 2023, le Québec a reçu plus de 65 000 des quelque 144 000 demandeurs d’asile entrés au Canada, soit 45 % de la totalité.
La fermeture du chemin Roxham n’a rien calmé du tout : d’abord, bien avant que l’on condamne ce point d’entrée irrégulière, la majorité des demandeurs d’asile arrivaient déjà par des points d’entrée officiels. Et puis l’afflux de migrants en quête d’une terre d’accueil sécuritaire ne cesse de croître.
La tendance mondiale n’ira pas en s’amenuisant, prévient le HautCommissariat des Nations unies pour les réfugiés. En 2023, il a recensé le plus grand nombre de crises humanitaires causées par des conflits, des violations des droits de la personne, des catastrophes naturelles ou des phénomènes météorologiques extrêmes, lesquelles ont forcé le déplacement de millions de personnes dans le monde. L’agence onusienne ne prévoit aucun ralentissement en 2024.
Québec tente de convaincre Ottawa de mieux répartir les entrées en se rapprochant davantage du poids démographique de la province au sein du Canada (22 %). En 2023, affirmait cette semaine le quatuor de caquistes, pendant que le Québec accueillait 65 000 de ces immigrants vulnérables, les quatre provinces de l’Atlantique, à elles seules, en recevaient… 380. « Malgré toute la générosité qui nous anime, notre capacité à livrer [des] services aux demandeurs d’asile a ses limites », a fait valoir Christine Fréchette. L’aide financière de dernier recours, les services éducatifs et de francisation, l’hébergement temporaire et les soins sociaux et de santé comptent parmi les services dont Québec doit pourvoir cette clientèle vulnérable sitôt qu’elle met pied ici.
Le point de presse de la semaine ne manquait pas de drame. À entendre les ministres, on s’approcherait du point de rupture dans l’octroi des services, voire d’une crise humanitaire. Interrogé par un journaliste, M. Roberge a affirmé que l’arrivée massive des demandeurs d’asile au Québec pourrait menacer l’identité québécoise. La semaine dernière, ces migrants causaient la crise du logement. Jeudi, le premier ministre François Legault accentuait le fait qu’ils ne venaient pas dorer la situation du français. Et pour ajouter une couche d’opprobre à la situation, le Québec a décidé mercredi de contester en Cour suprême la récente décision de la Cour d’appel qui permettait enfin l’accès aux garderies subventionnées aux demandeurs d’asile. C’est un bien mauvais théâtre.
À trop pleurer sur l’abondance des demandeurs d’asile — l’une des clientèles immigrantes les plus vulnérables, ne l’oublions pas —, le Québec tente-t-il de nous faire oublier qu’il ouvre pourtant grand ses portes à d’autres immigrants, parmi lesquels les étudiants étrangers et les travailleurs temporaires ? Deux poids, deux mesures ?
On peut toutefois comprendre la lassitude et l’exaspération de Québec face à l’inaction d’Ottawa, que les lamentations québécoises semblent ennuyer au plus haut point. Mais cela ne doit pas faire perdre au gouvernement Legault tout sens de la proportionnalité. Le discours de la semaine évoque des réminiscences nauséabondes, et la Coalition avenir Québec, à qui il fut reproché d’avoir tenu des propos pointant davantage les menaces de l’immigration que ses richesses, avait plutôt reconnu qu’il lui fallait s’élever et laisser la bienveillance l’emporter sur les prophéties de malheur.
La livraison du message de cette semaine a dérapé. Cela le détourne de l’intention de départ, qui est noble et sensée : celle de ramener le gouvernement Trudeau à ses sens.
Celui-ci continue de superbement ignorer l’ensemble des demandes du Québec, qui réclame à cor et à cri, depuis plus d’un an maintenant, de l’aide pour les dépenses engagées. La facture s’élève désormais à plus d’un milliard de dollars. Québec estime que le fédéral lui doit 470 millions pour le filet social offert aux demandeurs d’asile en 2021 et en 2022, et il estime à 576 millions la facture de 2023. Jusqu’à maintenant, Ottawa aurait consenti 150 millions, ce qui ne correspond en rien aux attentes.
Le statu quo est intenable. Ottawa doit poser le geste fort qu’on lui réclame depuis un an.