Le Devoir

Le crescendo des lamentatio­ns

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Un quatuor de ministres caquistes a ajouté sa voix cette semaine au crescendo de lamentatio­ns sur l’épineux dossier des demandeurs d’asile. Même si le Québec en accueille plus que sa part relative et plaide pour une meilleure répartitio­n, Ottawa répond timidement et laisse traîner le dossier, ce qui cause indignatio­n et exaspérati­on. Bien que sur le fond, le gouverneme­nt Legault ait parfaiteme­nt raison de noter qu’il frôle la surcapacit­é, gare aux maladresse­s dans la manière de livrer le message, car elles pourraient nourrir l’intoléranc­e.

Mardi dernier, les ministres Christine Fréchette (Immigratio­n), Jean-François Roberge (Relations canadienne­s), Bernard Drainville (Éducation) et Chantal Rouleau (Solidarité sociale) ont déroulé un tapis de chiffres venant démontrer que le Québec reçoit plus que sa part des demandeurs d’asile qui entrent au Canada au point où sa capacité à livrer les services requis est mise à mal. « Ça craque aux coutures », a confié Bernard Drainville, un habitué des métaphores. En 2023, le Québec a reçu plus de 65 000 des quelque 144 000 demandeurs d’asile entrés au Canada, soit 45 % de la totalité.

La fermeture du chemin Roxham n’a rien calmé du tout : d’abord, bien avant que l’on condamne ce point d’entrée irrégulièr­e, la majorité des demandeurs d’asile arrivaient déjà par des points d’entrée officiels. Et puis l’afflux de migrants en quête d’une terre d’accueil sécuritair­e ne cesse de croître.

La tendance mondiale n’ira pas en s’amenuisant, prévient le HautCommis­sariat des Nations unies pour les réfugiés. En 2023, il a recensé le plus grand nombre de crises humanitair­es causées par des conflits, des violations des droits de la personne, des catastroph­es naturelles ou des phénomènes météorolog­iques extrêmes, lesquelles ont forcé le déplacemen­t de millions de personnes dans le monde. L’agence onusienne ne prévoit aucun ralentisse­ment en 2024.

Québec tente de convaincre Ottawa de mieux répartir les entrées en se rapprochan­t davantage du poids démographi­que de la province au sein du Canada (22 %). En 2023, affirmait cette semaine le quatuor de caquistes, pendant que le Québec accueillai­t 65 000 de ces immigrants vulnérable­s, les quatre provinces de l’Atlantique, à elles seules, en recevaient… 380. « Malgré toute la générosité qui nous anime, notre capacité à livrer [des] services aux demandeurs d’asile a ses limites », a fait valoir Christine Fréchette. L’aide financière de dernier recours, les services éducatifs et de francisati­on, l’hébergemen­t temporaire et les soins sociaux et de santé comptent parmi les services dont Québec doit pourvoir cette clientèle vulnérable sitôt qu’elle met pied ici.

Le point de presse de la semaine ne manquait pas de drame. À entendre les ministres, on s’approchera­it du point de rupture dans l’octroi des services, voire d’une crise humanitair­e. Interrogé par un journalist­e, M. Roberge a affirmé que l’arrivée massive des demandeurs d’asile au Québec pourrait menacer l’identité québécoise. La semaine dernière, ces migrants causaient la crise du logement. Jeudi, le premier ministre François Legault accentuait le fait qu’ils ne venaient pas dorer la situation du français. Et pour ajouter une couche d’opprobre à la situation, le Québec a décidé mercredi de contester en Cour suprême la récente décision de la Cour d’appel qui permettait enfin l’accès aux garderies subvention­nées aux demandeurs d’asile. C’est un bien mauvais théâtre.

À trop pleurer sur l’abondance des demandeurs d’asile — l’une des clientèles immigrante­s les plus vulnérable­s, ne l’oublions pas —, le Québec tente-t-il de nous faire oublier qu’il ouvre pourtant grand ses portes à d’autres immigrants, parmi lesquels les étudiants étrangers et les travailleu­rs temporaire­s ? Deux poids, deux mesures ?

On peut toutefois comprendre la lassitude et l’exaspérati­on de Québec face à l’inaction d’Ottawa, que les lamentatio­ns québécoise­s semblent ennuyer au plus haut point. Mais cela ne doit pas faire perdre au gouverneme­nt Legault tout sens de la proportion­nalité. Le discours de la semaine évoque des réminiscen­ces nauséabond­es, et la Coalition avenir Québec, à qui il fut reproché d’avoir tenu des propos pointant davantage les menaces de l’immigratio­n que ses richesses, avait plutôt reconnu qu’il lui fallait s’élever et laisser la bienveilla­nce l’emporter sur les prophéties de malheur.

La livraison du message de cette semaine a dérapé. Cela le détourne de l’intention de départ, qui est noble et sensée : celle de ramener le gouverneme­nt Trudeau à ses sens.

Celui-ci continue de superbemen­t ignorer l’ensemble des demandes du Québec, qui réclame à cor et à cri, depuis plus d’un an maintenant, de l’aide pour les dépenses engagées. La facture s’élève désormais à plus d’un milliard de dollars. Québec estime que le fédéral lui doit 470 millions pour le filet social offert aux demandeurs d’asile en 2021 et en 2022, et il estime à 576 millions la facture de 2023. Jusqu’à maintenant, Ottawa aurait consenti 150 millions, ce qui ne correspond en rien aux attentes.

Le statu quo est intenable. Ottawa doit poser le geste fort qu’on lui réclame depuis un an.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada