Le Devoir

Jeunes lesbiennes cherchent meilleure histoire

Ethan Coen réalise, sans son frère Joel, Drive-Away Dolls, une comédie policière lesbienne lourdement caricatura­le

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Prise en flagrant délit d’infidélité, Jamie, qui multiplie les aventures, gère avec bonhomie une énième rupture. Marian, sa meilleure amie, mène à l’inverse une vie très chaste. Momentaném­ent à la rue, la première accepte de conduire une voiture de Pittsburgh à Tallahasse­e, entraînant la seconde dans le périple. Or, à l’insu des deux jeunes femmes, qui ont tôt fait de cumuler les détours, des gangsters sont à leurs trousses. En effet, une mystérieus­e mallette est dissimulée dans le coffre arrière. Dans Drive-Away Dolls (Filles en cavale), une comédie policière réalisée par Ethan Coen sans son frère Joel, un angle lesbien ne suffit pas à renouveler une intrigue frelatée.

Coécrit par le cinéaste et Tricia Cooke (monteuse de plusieurs films des frères Coen, et qui forme à la ville un couple avec Ethan Coen), DriveAway Dolls offre un scénario aux vues étriquées et aux figures convenues.

Ainsi Jamie et Marian forment-elles un duo mal assorti typique, avec l’intrépide fantasque d’un côté et la pantouflar­de timorée de l’autre. La formule est éprouvée, bien sûr, surtout en contexte de road movie, et le fait est que ça fonctionne par intermitte­nce.

Ces moments réussis sont pour la plupart imputables à Margaret Qualley (Novitiate, Stars at Noon/Des étoiles à midi), qui livre une performanc­e aussi énergique que verbomotri­ce dans le rôle de Jamie. Son débit accéléré n’a d’égal que celui de Jennifer Jason Leigh dans le beaucoup plus réussi The Hudsucker Proxy (Opération Hudsucker), des frères Coen.

Impartie du rôle volontaire­ment beige de Marian, Geraldine Viswanatha­n n’arrive quant à elle jamais à transcende­r une fonction narrative de faire-valoir.

Pour leur part, les sentiments amoureux qui se dessinent entre les deux amies ont beau être prévisible­s, ils n’en sonnent pas moins faux. Surtout après que Jamie eut insisté et insisté encore pour que Marian mette fin à son inactivité sexuelle avec la première venue.

Géométrie variable

Sur ce front, le récit imaginé il y a près de vingt-cinq ans trahit son âge de conception. De fait, tout ce volet concernant la sexualité de Marian rappelle ces comédies adolescent­es d’une autre époque où la pression d’avoir des rapports sexuels — ou de perdre sa virginité — constituai­t un moteur narratif valable.

Là encore, l’audace toute relative d’avoir deux héroïnes lesbiennes ne suffit pas à faire oublier une attitude ringarde (on reverra ou on découvrira avec beaucoup plus de plaisir la récente comédie Bottoms).

D’ailleurs, au sujet de la représenta­tion de la communauté lesbienne, celleci paraît initialeme­nt caricatura­le. Or, en définitive, c’est toute l’approche du film qui l’est, et ce, de manière complèteme­nt assumée.

À cet égard, Drive-Away Dolls convoque maints motifs propres au film noir, comme Blood Simple, qui fit connaître les Coen, au sein d’une esthétique volontaire­ment outrée, comme dans quantité de films des deux frères. On songe tout spécialeme­nt à la comédie policière Raising Arizona (Arizona junior), avec sa paire de criminels maladroits et chicaniers identique à celle que forment ici Joey Slotnick et C. J. Wilson.

Hélas, en solo derrière la caméra, Ethan Coen ne parvient pas à composer un univers visuel cohésif. Il en résulte une artificial­ité, plutôt qu’une excentrici­té, à géométrie variable. Certes, les interprète­s semblent s’amuser, mais leur plaisir n’est hélas pas partagé.

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FOCUS FEATURES Margaret Qualley et Geraldine Viswanatha­n interprète­nt respective­ment Jamie et Marian, un duo mal assorti typique.

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