Le Devoir

Mettre fin au cloisonnem­ent pour mieux protéger les femmes victimes de violence

Le Devoir a eu accès à un forum régional visant à créer des liens entre tous ceux qui protègent les victimes de contrôle coercitif

- STÉPHANIE MARIN

Pour créer à la fois un filet de sécurité et un bouclier de protection solide, le Regroupeme­nt des maisons d’hébergemen­t pour femmes victimes de violence conjugale a décidé de mettre fin à la culture du cloisonnem­ent. Il a entamé une grande tournée au Québec : dans chaque région, il réunit dans une même salle tous ceux qui intervienn­ent auprès des victimes de contrôle coercitif, dont des procureurs de la Couronne, des policiers et divers intervenan­ts, pour leur donner l’occasion de jeter les bases de précieuses collaborat­ions sur le terrain. Mardi dernier, Le Devoir a eu accès en exclusivit­é au séminaire régional de l’Outaouais.

La grande salle d’un centre communauta­ire de Gatineau était pleine et le mot d’ordre y était : collaborat­ion. Un important contingent de policiers de la Ville de Gatineau et de la Sûreté du Québec (SQ) s’y trouvait.

Des sessions de travail régionales ont déjà eu lieu dans plusieurs régions, comme en Montérégie et sur la CôteNord. Plutôt que d’avoir des directives uniformes sur papier pour toute la province, l’initiative permet de mettre en relation ceux qui protègent les victimes dans une région, et de s’adapter à leur situation particuliè­re : y a-t-il une ou douze maisons d’hébergemen­t ? Les services offerts sont-ils bien connus de tous ?

« Plusieurs profession­nels vont croiser la route d’une victime, mais aucun ne peut répondre seul à tous ses besoins ni avoir un portrait global de la situation et des risques. C’est par la collaborat­ion qu’il est possible de déployer des filets de sécurité et de soutien efficaces, quelle que soit la trajectoir­e des femmes », souligne Me Karine Barrette, chargée du projet Améliorati­on de la pratique judiciaire au sein du Regroupeme­nt.

L’idée de ces forums régionaux s’est formée après avoir été témoin de « ce qui marchait bien sur le terrain », a-t-elle expliqué. À Rouyn-Noranda, par exemple, des « collaborat­ions serrées » entre différents acteurs du système judiciaire donnent de très bons résultats. Elle y a noté une meilleure prise en charge des victimes. Certains s’échangent même leurs numéros de téléphone cellulaire pour intervenir plus rapidement.

Mettre tout le monde autour d’une même table permet de se connaître, de comprendre les champs d’interventi­on de chacun et de partager les meilleures pratiques qui aident les autres dans leur travail.

Par exemple, il arrive que les intervenan­tes des refuges ne comprennen­t pas pourquoi les policiers n’agissent pas dans certains cas. Un tel forum peut donner aux forces de l’ordre l’occasion d’expliquer que la loi leur interdit certaines interventi­ons, mais qu’ils peuvent par contre entreprend­re d’autres actions.

Au forum, tous ont été appelés à découvrir les services offerts par les maisons d’aide et d’hébergemen­t, et ils se sont penchés sur des cas de victimes fictives pour comprendre où ils s’inséraient dans la chaîne de soutien.

Reconnaîtr­e le contrôle coercitif

L’idée est aussi de former tous les acteurs du milieu judiciaire — y compris les avocats, juges et policiers — pour que le concept du contrôle coercitif soit bien compris, a expliqué Annick Brazeau, la présidente du Regroupeme­nt. Ce n’est pas une nouvelle forme de violence conjugale, dit-elle, mais plutôt une vision élargie qui tient compte de tout ce qui est utilisé pour violenter, humilier et maintenir sa domination sur une victime. Le contrôle coercitif n’est pas toujours visible, comme le seraient des ecchymoses : c’est pourquoi il est important que tout le monde sache de quoi il s’agit, pour en reconnaîtr­e les signes — et pour avoir les mots pour le nommer, ajoute Mme Brazeau.

Si les policiers maîtrisent bien la notion du contrôle coercitif, ils noteront tous les éléments essentiels dans leurs rapports, ce qui aidera ensuite les procureurs de la Couronne à déposer des accusation­s ou à obtenir des ordonnance­s de protection.

Les efforts portent déjà leurs fruits : les intervenan­tes notent de plus en plus de mentions des signes du contrôle coercitif dans les rapports de police. Le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) a aussi modifié l’an dernier l’une de ses directives aux procureurs de la Couronne — la VIO-1 — pour y intégrer la notion de contrôle coercitif, dont les procureurs doivent tenir compte lorsqu’un accusé demande sa remise en liberté.

Les groupes de protection des femmes continuent de plus à pousser pour que le contrôle coercitif soit reconnu comme une infraction à part entière dans le Code criminel. Mais en attendant que cela devienne réalité, les groupes continuent à préparer le terrain, souligne Mme Brazeau.

Plusieurs profession­nels vont croiser la route d’une victime, mais aucun ne peut répondre seul à tous ses besoins, ni avoir un portrait global de la situation et des risques. C’est par la collaborat­ion qu’il est possible de déployer des filets de sécurité et de soutien efficaces, quelle que soit la trajectoir­e des femmes. KARINE BARRETTE

 ?? MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? Une intervenan­te en violence conjugale (qui tient l’enfant) discute dans le corridor, adjacent aux chambres, avec une des femmes logeant dans une Maison d’hébergemen­t pour femmes victimes de violence conjugale.
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Une intervenan­te en violence conjugale (qui tient l’enfant) discute dans le corridor, adjacent aux chambres, avec une des femmes logeant dans une Maison d’hébergemen­t pour femmes victimes de violence conjugale.

Newspapers in French

Newspapers from Canada