Le Devoir

Que reste-t-il du français à Ottawa ?

Sans chuter radicaleme­nt, le poids des francophon­es peine à se maintenir dans la capitale

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LLes bastions francophon­es d’Ottawa tremblent, mais ils ne cèdent pas. Les effets de l’immigratio­n et de l’élargissem­ent des services bilingues dans la municipali­té sur la consolidat­ion du français ne font pas consensus parmi les experts, qui estiment que des efforts restent à faire pour que la capitale fédérale soit véritablem­ent bilingue.

« C’est toujours inquiétant de voir que le français recule », lance le directeur général de l’Associatio­n des communauté­s francophon­es d’Ottawa (ACFO-Ottawa), Diego Elizondo, qui souligne qu’une « forte minorité » francophon­e demeure dans l’est de la ville.

Selon le dernier recensemen­t de Statistiqu­e Canada, le français est la première langue officielle parlée de 14,9 % de la population d’Ottawa. Mais le poids démographi­que des francophon­es a diminué de 1,1 point de pourcentag­e dans la capitale fédérale entre 2016 et 2021.

Cela dit, « les chiffres globaux pour Ottawa ne donnent pas une [bonne] image de la réalité du français » dans la ville, estime Anne Gilbert, professeur­e au Départemen­t de géographie de l’Université d’Ottawa. Si la carte demeure blanche à l’ouest de la rivière Rideau, elle est teintée de bleu poudre à l’est de celle-ci. Dans Vanier et Orléans, les locuteurs natifs du français représenta­ient, en 2021, de 30 à 50 % des habitants. « Il s’agit de milieux réellement bilingues, où il y a une chance sur deux que notre voisin soit lui aussi un francophon­e. C’est beaucoup moins minoritair­e que ce que la statistiqu­e globale veut dire », indique Mme Gilbert.

« Ce n’est pas une chute libre comme on aurait pu le craindre, mais c’est très fragile », estime toutefois M. Elizondo, qui parle de « statu quo ». « Le corollaire, c’est qu’il n’y a pas de progrès. »

Selon Mme Gilbert, il n’y a pas eu de

« changement majeur » depuis 2016. Elle souligne toutefois que la basseville se « transforme beaucoup ». Ces dix dernières années, les édifices en hauteur se sont substitués aux petites maisons, et ils attirent désormais « une faune très particuliè­re », éloignée de la vie familiale. Des étudiants et des retraités anglophone­s s’y installent, remplaçant progressiv­ement « la génération qui avait fait de la basse-ville d’Ottawa un lieu de vie français ».

Bilinguism­e « symbolique »

En 2001, la Ville a « réaffirmé son engagement à offrir […] des services en français et en anglais » en reconduisa­nt sa politique de bilinguism­e adoptée en 1970. La municipali­té a ensuite été désignée officielle­ment bilingue par le gouverneme­nt provincial, en 2017.

Un changement législatif plus « symbolique » qu’autre chose, selon l’ancien conseiller municipal d’Ottawa Mathieu Fleury, qui a fait partie du Mouvemernt pour une capitale du Canada officielle­ment bilingue. « On dit [que la Ville d’Ottawa est] officielle­ment bilingue. Mais qu’est-ce qui se définit comme officielle­ment bilingue ? Ça renvoie à la politique des services en français, qui elle n’a pas été rajustée » depuis 2001.

Contactée par Le Devoir, la gestionnai­re des services en français d’Ottawa, Michèle Rochette, a écrit que la Ville « reconnaît les contributi­ons de la communauté francophon­e » et est « fière de [son] caractère bilingue ». Elle n’a toutefois pas indiqué au Devoir si la municipali­té était ouverte à une révision de sa politique, comme le réclame l’ACFO-Ottawa.

Des efforts vains dans l’ouest ?

La population d’Ottawa a tendance à se déplacer vers les banlieues. Et pour les francophon­es, le réflexe a toujours été de se tourner vers l’est, « vers Montréal », explique Mme Gilbert, traçant une « frontière assez nette » avec l’ouest d’Ottawa.

En vingt ans, des progrès ont été faits pour ouvrir des écoles et instaurer des services en français dans ce pôle de la ville. Une « effervesce­nce » nécessaire pour des francophon­es « qui étaient très mal servis », reconnaît M. Elizondo. Mais même s’ils répondent à une véritable demande, ces projets n’ont « pas créé de concentrat­ion forte », déplore Mme Gilbert. « Quand on éparpille les ressources, le problème, c’est qu’on n’en fait pas assez nulle part, au lieu d’en faire beaucoup quelque part. »

M. Fleury, d’un avis contraire, juge que « la francophon­ie est partout sur le territoire » et que « c’est à la Ville d’ajuster son niveau de services ».

L’immigratio­n ne suffit pas

À l’instar du gouverneme­nt fédéral, la « communauté francophon­e à Ottawa mise beaucoup sur l’immigratio­n » pour rétablir son poids démographi­que, note Mme Gilbert. Mais si elle est certes « un atout », elle ne suffit pas à « diminuer l’impact de l’immigratio­n anglophone », dit-elle, faisant remarquer que plus d’immigrants « se rallient à l’anglais » une fois sur le territoire.

« Il y a d’autres personnes qui arrivent dans les quartiers, qui s’installent, mais il n’y a pas une tendance vers l’inverse, où les francophon­es sont en augmentati­on. Ils se maintienne­nt à peine », ajoute M. Elizondo.

M. Fleury estime quant à lui que ce sont les statistiqu­es, en reflétant mal toutes les langues que peuvent parler les nouveaux arrivants, qui « affaibliss­ent la francophon­ie ».

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