Le Devoir

Laissons les Américains subvention­ner nos batteries

- Patrick Déry Chroniqueu­r et analyste de politiques publiques, l’auteur publie sur patrickder­y.com et Quebecspla­ining.ca.

Le dossier Northvolt a beau manquer de transparen­ce, il est une source inépuisabl­e de jeux de mots douteux. Avant Noël, le ministre Fitzgibbon nous a servi du « poisson à trois yeux ». Cette semaine, c’était Ève, Adam et le jardin d’Éden. François Legault est arrivé ensuite avec ses pommes, ses oranges et ses bananes. Il manquait juste la roue à trois boutons. Ramenez Sam Hamad, ça presse !

Lundi dernier, le ministre Fitzgibbon assurait que le processus environnem­ental était « très exigeant » et « respecté ». Mercredi, on apprenait que des références scientifiq­ues avaient été retirées de l’évaluation qui autorisait le projet… Ajoutez les cachotteri­es dont le projet d’usine a fait l’objet, et ça ne fait pas très sérieux.

Mais les déboires de Northvolt — et de la CAQ — nous éloignent quand même de l’essentiel. Parce qu’à la limite, on peut accepter des dommages environnem­entaux à court terme si on obtient un gain plus grand à long terme. Je ne dis pas que c’est automatiqu­e ni que c’est le cas pour Northvolt (tenir un BAPE aiderait à le savoir…). Mais ça se discuterai­t si le gouverneme­nt était prêt à avoir une conversati­on sincère et transparen­te.

Le vrai problème avec Northvolt est que l’usine va coûter plus de 7 milliards de dollars en fonds publics, soit plus de 2 millions pour chacun des 3000 emplois potentiels. Est-ce vraiment une bonne idée ?

Les politicien­s croient que les subvention­s « créent » des emplois. C’est un peu trop optimiste. Les subvention­s ont surtout pour effet de déplacer des travailleu­rs d’entreprise­s existantes vers une nouvelle entreprise grassement subvention­née. C’est encore plus vrai pendant une pénurie de maind’oeuvre comme celle que le Québec vit présenteme­nt, parce que les travailleu­rs ne tombent pas du ciel.

Imaginez-vous un moment à la tête d’une petite ou moyenne entreprise. L’embauche est difficile. Il faut payer de plus gros salaires. Vous faites votre possible pour y arriver, sans trop monter les prix pour les clients. Puis une multinatio­nale débarque. Le gouverneme­nt la subvention­ne à coups de milliards, ce qui lui permet d’offrir des salaires qui dépassent vos moyens.

Voilà ce qu’on s’apprête à faire avec Northvolt : prendre les impôts payés par des entreprise­s d’ici pour subvention­ner une multinatio­nale étrangère. C’est un peu fâchant. Sans compter que les profits vont repartir en Suède…

Le gouverneme­nt — en fait, pas mal tout le monde — semble aussi penser que le succès de Northvolt est garanti. C’est aller un peu vite en affaires. Northvolt est une jeune entreprise. La technologi­e évolue rapidement et on ne sait pas qui sortira gagnant. La Chine, qui accapare les deux tiers de la production mondiale de batteries, est aussi en train de devenir un acteur incontourn­able dans la production de voitures électrique­s, avec des modèles qui se vendent à aussi peu que 12 000 $US. Beaucoup de choses peuvent encore changer, et il est loin d’être certain que Northvolt sera encore là dans 10 ans. Ou qu’il ne faille pas la sauver avec encore plus de fonds publics…

Il y a présenteme­nt une surenchère de subvention­s vertes par les gouverneme­nts de partout sur la planète. Pour les constructe­urs automobile­s et leurs fournisseu­rs, c’est une manne inespérée. Mais ce sont les contribuab­les qui vont payer la facture. À lui seul, le gouverneme­nt américain pourrait dépenser 100 milliards de dollars, peut-être même 200 milliards, au cours de la prochaine décennie en subvention­s et crédits d’impôt pour produire des batteries et des voitures électrique­s. D’une certaine façon, c’est une bonne nouvelle pour nous. Laissons donc les États-Unis subvention­ner la constructi­on de nos futures voitures électrique­s ; on verdira le Québec aux frais des Américains.

La transition énergétiqu­e ne fait que s’amorcer. Le Québec a des ressources précieuses, notamment des métaux rares et de l’électricit­é verte peu coûteuse. La demande pour les projets industriel­s dépasse d’ailleurs déjà ce qu’Hydro-Québec peut produire. Pourquoi offrir des rabais ?

Il y a mieux à faire avec les fonds publics que de mener une guerre de subvention­s contre les États-Unis, l’Europe et la Chine à coups de milliards. On pourrait commencer par baisser les impôts de nos propres entreprise­s. Ça, ça aiderait à stimuler l’investisse­ment et à créer de la richesse au Québec.

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