Le Devoir

Les (dés)intérêts du Québec

- MARIE VASTEL

Ainsi, le premier ministre du Québec, François Legault, est exaspéré de voir ses demandes en immigratio­n ignorées à répétition par le gouverneme­nt de Justin Trudeau. L’entêtement des libéraux fédéraux à reconnaîtr­e les efforts du Québec en matière d’accueil tout en recevant les demandes québécoise­s dans la plus grande indifféren­ce est effectivem­ent sidérant.

Mais M. Legault se trompe d’adversaire en ciblant le Bloc québécois et en l’accusant à son tour de manquer à son rôle de rempart québécois contre Ottawa.

Empêtré dans une guerre de chiffres avec le gouverneme­nt Trudeau, celui de François Legault piétine. Plus les pourparler­s s’étirent en coulisses et s’enveniment sur la place publique, plus le ton monte chez le premier ministre et ses ministres caquistes. Que le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, l’accuse cette semaine de ne « rien » faire d’autre que de « quémander au fédéral des grenailles » en était trop.

Visiblemen­t piqué au vif, M. Legault a choisi de lui répliquer en calomniant son partenaire fédéral indépendan­tiste. « À quoi ça sert, le Bloc québécois, à Ottawa ? » lui a-t-il renvoyé, répétant son injure trois fois plutôt qu’une.

Le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, a probableme­nt vu juste en s’estimant n’être qu’une victime collatéral­e d’un colletaill­age entre le premier ministre et son principal rival l’ayant détrôné dans les sondages. Mais au-delà de son propre objectif électoral — freiner enfin cet élan du PQ —, François Legault ne devrait pas perdre de vue les intérêts de la nation québécoise dans son ensemble. Or, sur la scène fédérale, qui donc les défend si ce n’est le Bloc québécois ?

Le fédéralism­e centralisa­teur du gouverneme­nt Trudeau n’est plus à démontrer. Pas plus que la sourde oreille qu’il réserve aux demandes du Québec en immigratio­n, mais aussi en santé. Que dire du Nouveau Parti démocratiq­ue, sinon qu’il empiète allègremen­t sur les champs de compétence­s du Québec, avec son partenaire d’alliance libéral, en imposant les programmes d’assurance de soins dentaires et, bientôt, d’assurance médicament­s ?

François Legault juge-t-il réellement le Parti conservate­ur du Canada de Pierre Poilievre davantage au diapason des valeurs et demandes du Québec ? Et disposé à les respecter ? Adeptes d’un plus petit rôle de l’État, les conservate­urs sont certes traditionn­ellement moins interventi­onnistes. Mais pour le reste, la vision politique de Pierre Poilievre — ou du moins, ce qu’il en a dévoilé jusqu’à présent — ne cadre pas particuliè­rement avec la sensibilit­é québécoise.

Un gouverneme­nt Poilievre, s’il était élu, interviend­rait lui aussi en Cour suprême pour contester la Loi sur la laïcité de l’État québécois (la loi 21). Le chef conservate­ur s’oppose à l’élargissem­ent de l’aide médicale à mourir (il ne s’est pas prononcé sur les demandes anticipées autorisées par le Québec, mais pas par le Code criminel d’Ottawa). Il a promis d’abroger la loi libérale ayant interdit les armes d’assaut de style militaire et de geler la vente, l’achat et le transfert d’armes de poing (réclamée par la mosquée de Québec et PolySeSouv­ient). Il s’oppose à la tarificati­on du carbone et n’a pas de plan sérieux en environnem­ent (alors que c’est au Québec que la lutte contre les changement­s climatique­s se hisse au plus haut des priorités). Il promet de ne pas adopter de loi sur l’avortement, mais permettrai­t au tiers des députés de son caucus qui s’y opposent de déposer leurs propres projets de loi. Dans le dossier de l’immigratio­n, M. Poilievre n’a pas précisé quel serait son seuil d’accueil. Et encore moins s’il entend rembourser, pour sa part, les dépenses engagées par le Québec.

Si François Legault songe de nouveau à offrir son appui au PCC, comme il l’a fait lors du scrutin fédéral de 2021, il devrait y réfléchir à deux fois. Car seuls 20 % des électeurs caquistes logent à cette enseigne, contre près du tiers qui vote pour le Bloc et 42 % pour le Parti libéral fédéral, rappelle le sondeur Jean-Marc Léger.

D’ailleurs, s’il y a un dossier pour lequel le Bloc québécois s’est fait le relais des consensus de l’Assemblée nationale, c’est bien l’immigratio­n. Depuis les dernières élections, les bloquistes ont interrogé le gouverneme­nt Trudeau à 90 reprises sur le chemin Roxham pendant les périodes de questions ; le Parti conservate­ur, 17. Quant à l’accueil des demandeurs d’asile : 81 questions bloquistes et 5 conservatr­ices. (Les deux catégories comptent certains recoupemen­ts.) Si le gouverneme­nt de la CAQ se heurte à un mur libéral à Ottawa, ce n’est pas par manque d’efforts du Bloc québécois.

La proximité et l’amitié d’Yves-François Blanchet et de Paul St-Pierre Plamondon commencent à irriter François Legault, soit. Mais à vouloir freiner l’exode des sympathisa­nts souveraini­stes vers le PQ, le chef caquiste semble oublier que son autonomism­e ne peut se cantonner aux frontières de la rivière des Outaouais s’il veut en tirer de tangibles résultats.

Que cela lui plaise ou non, sur la rive ontarienne, le Bloc québécois demeure un allié nécessaire. Prétendre le contraire ne sert que les partis fédéralist­es.

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