Exploiter tout le potentiel des écorces d’épinettes noires
Au nord du Québec, dans la forêt boréale, l’épinette noire abonde. Si son bois dense est exploité dans les scieries pour produire des matériaux de construction, son écorce, elle, est brûlée pour générer de l’énergie. Elle pourrait toutefois avoir une seconde utilité inédite.
« Je travaille beaucoup sur un site où il y a 2,5 millions de tonnes d’écorce entreposées », note Marco Gagnon, conseiller en foresterie et en énergie à la Société d’aide au développement des collectivités en Abitibi-Ouest (SADCAO). Dans le secteur, ces amas sont abondants dans les cours des scieries. Ils datent d’une autre époque, avant le milieu des années 1980, quand les réglementations québécoises étaient moins strictes et que l’écorce n’était pas encore valorisée.
M. Gagnon évalue qu’à elle seule, l’entreprise Chantiers Chibougamau produit environ 80 000 tonnes d’écorce d’épinette noire par année. Autrement dit, il y en a beaucoup, dit-il, et cette dernière contient quelque chose qui pourrait s’avérer précieux : du tanin.
« C’est une macromolécule très réactive », explique de son côté Flavia Braghiroli, professeure en bioproduits forestiers à l’Institut de recherche sur les forêts de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Grâce à cette caractéristique, le tanin pourrait remplacer le phénol. Ce composé non moins réactif est actuellement employé pour fabriquer des résines, de la peinture, des tissus, des pesticides, des produits pharmaceutiques, des contreplaqués, des matériaux d’isolation, des boissons gazeuses et bien plus encore.
Des produits moins toxiques
Le problème avec le phénol, c’est qu’il est hautement toxique pour les humains. Il est à même d’affecter le système nerveux central, de causer des dommages au foie et aux reins, voire d’entraîner la mort par empoisonnement. S’il se retrouve dans la nature, il peut contaminer la nappe phréatique et les cours d’eau.
Comme ce composé chimique n’est plus produit au Canada depuis 1992, il est importé, surtout des États-Unis, par les industries. « On est en Abitibi-Témiscamingue, il y a tout un transport de ces matériaux vers les régions éloignées, donc c’est pour ça que je trouve que c’est un projet très intéressant », souligne Mme Braghiroli.
La professeure vient de lancer un programme de recherche de trois ans pour que du tanin québécois, issu de l’épinette noire de l’AbitibiTémiscamingue, arrive sur le marché. Son objectif est d’abord d’acheter des équipements de haute technologie afin de pouvoir extraire cette macromolécule, soit un autoclave et un séchoir par atomisation.
« Il faut tout un procédé. On met les écorces dans une sorte de cocotteminute, avec de l’eau. Il y a un temps de cuisson et, ensuite, avec le mélange, on va faire un séchage très délicat pour ne pas modifier sa structure chimique. À la fin, on obtient une poudre rouge », vulgarise la chercheuse. L’idée est de mener des tests et de trouver les meilleures conditions pour recueillir le plus de tanin possible, voire de développer de la machinerie avec des partenaires privés.
De nouveaux partenariats
Mme Braghiroli désire également déterminer comment le tanin pourrait être prélevé avant que l’entreprise Produits forestiers Résolu le transforme pour créer de l’énergie électrique et thermique dans son usine de Senneterre. Cette entreprise est celle qui achète la plus grande partie des écorces des scieries d’AbitibiTémiscamingue.
« Aujourd’hui, les écorces sont envoyées directement en cogénération pour la production d’énergie. Est-ce qu’on est capables de produire du tanin sans bouleverser la chaîne ? » se demande la professeure.
Plusieurs organisations privées — notamment Cyclofor, West Fraser, Les aciers J.P., Bio Stratège et Mitacs —, qui perçoivent un potentiel économique, investissent et participent à la recherche. Elles sont spécialisées dans la transformation du bois, dans l’ingénierie ou dans la conception de matériel industriel. La SADCAO contribue aussi au projet et Mme Braghiroli est toujours en quête de nouvelles ententes.
Un essor à l’international
En expansion, le marché mondial du tanin devrait atteindre quatre milliards de dollars américains d’ici 2030, selon un rapport d’Allied Market Research, une firme de consultation et de recherche.
Au Brésil, le pays d’origine de M me Braghiroli, l’écorce d’acacia est encore plus riche en tanin. Sa teneur s’élève à environ 40 %, contre seulement 10 % pour l’épinette noire. Dans ce vaste État d’Amérique du Sud, de grands acteurs ont émergé et percé les marchés mondiaux. M. Gagnon, qui a hérité du volet Développement des affaires, est en contact avec ces organisations. « Ces gens nous ont fourni des échantillons de ce qu’ils faisaient. […] C’est sûr que ces entreprises, on les voit comme des partenaires et pas comme des concurrents. Nous, on veut collaborer avec elles. L’épinette noire, c’est notre secteur, ça pousse ici », dit-il.
Le problème avec le phénol, c’est qu’il est hautement toxique pour les humains. Il est à même d’affecter le système nerveux central, de causer des dommages au foie et aux reins, voire d’entraîner la mort par empoisonnement.