Le Devoir

De l’eau potable produite à partir… de l’air

- PASCALINE DAVID COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Plus de 5 milliards de personnes pourraient avoir des difficulté­s à accéder à de l’eau en 2050, selon l’Organisati­on météorolog­ique mondiale (OMM). En collaborat­ion avec l’entreprise Awn Nanotech, une équipe de recherche de Polytechni­que Montréal a développé une technologi­e astucieuse : de minuscules éponges capables d’absorber l’eau dans l’air et de la redistribu­er quand cela est nécessaire. L’invention sera testée dans les maisons de communauté­s autochtone­s, certaines n’ayant toujours pas ou peu accès à l’eau potable.

Dans le monde, 2 milliards de personnes sont privées d’eau potable, et 3,6 milliards n’ont pas accès à un système d’assainisse­ment sécuritair­e, alerte un rapport sur l’eau publié en 2023 par l’UNESCO et ONUEau. Richard Boudreault, présidentd­irecteur général d’Awn Nanotech, entreprise de technologi­e « propre », a constaté ces difficulté­s ici même, au Canada.

« À un moment donné, on avait plus de 200 avis d’ébullition et on se retrouvait avec des taux d’arsenic élevé liés à la pollution engendrée par les activités minières, raconte l’ancien président du conseil de Savoir Polaire Canada, un organisme de recherche sur l’Arctique. Plusieurs communauté­s autochtone­s n’avaient pas accès à l’eau depuis des dizaines d’années. »

Pour l’entreprene­ur en série, luimême issu d’une communauté autochtone et président du conseil d’administra­tion de l’Université des Premières Nations du Canada, il fallait donc agir. « Avec les changement­s climatique­s, l’atmosphère est plus chaude et contient plus d’eau, mais il y en a moins au sol et les nappes phréatique­s ne se réalimente­nt plus, poursuit le professeur adjoint à Polytechni­que Montréal. Quand elle tombe, par contre, c’est en grande quantité. »

Une éponge « révolution­naire »

Dans ce contexte, l’idée de mettre au point une technologi­e économique et peu énergivore, capable d’absorber l’eau de l’atmosphère pour la rendre potable, a émergé. M. Boudreault s’est d’abord associé à l’Université McGill pour démarrer le projet, désormais développé à Polytechni­que Montréal par l’équipe du professeur Jason R. Tavares, dont des chercheurs affiliés à l’université anglophone font partie.

« Vous avez déjà sûrement remarqué les petits sachets de gel de silice, présents dans les chaussures ou dans certains emballages d’aliments, pour les garder secs, explique le professeur Tavares. Ces absorbants sont très forts pour capter l’humidité de l’air et la retenir, mais pas pour la relarguer. On s’est inspirés de ça pour rapetisser les pores — petits trous à l’intérieur du matériel — afin de créer un processus réversible, à la manière d’une éponge. »

L’équipe utilise un matériau à base de carbone peu coûteux, dont la porosité est ajustable. « On veut pouvoir couvrir tout type de conditions, allant de 95 % d’humidité relative, comme dans une jungle, à 5 %, dans le désert », précise le chercheur. D’après ses données, l’eau produite par ces éponges nanoporeus­es est d’une telle pureté qu’elle doit être reminérali­sée afin d’être consommée. Pour y arriver, il travaille avec le Centre de recherche, développem­ent et validation des technologi­es et procédés de traitement des eaux.

Si le processus a des « concurrent­s » qui travaillen­t sur des projets similaires, leur technologi­e serait, semble-t-il, beaucoup plus chère. « Celle que nous avons développée est extrêmemen­t intéressan­te, car le coût énergétiqu­e est très bas. Et ça, c’est révolution­naire », s’enthousias­me Richard Boudreault.

C’est aussi très utile pour déshumidif­ier un espace. « Dans le Nord, les maisons sont relativeme­nt petites et sont habitées par trois génération­s, ce qui crée beaucoup d’humidité, affirme M. Boudreault. Pour éviter ça, les fenêtres sont ouvertes même en hiver. » La perte de chaleur et les coûts engendrés pourraient donc être minimisés.

Des solutions en héritage

L’équipe scientifiq­ue, qui a déjà mis au point plusieurs prototypes en laboratoir­e, s’emploie à en construire d’autres de plus grande ampleur afin de réaliser très prochainem­ent des tests au sein de communauté­s autochtone­s. Richard Boudreault échange actuelleme­nt avec différents groupes à l’internatio­nal, au Canada et au Québec pour jauger l’intérêt et les besoins en eau potable. En décembre dernier, le gouverneme­nt libéral a d’ailleurs déposé un projet de loi visant à améliorer la qualité de l’eau dans les communauté­s et à créer une nouvelle commission de l’eau, dirigée par les Premières Nations elles-mêmes.

L’objectif ultime d’Awn Nanotech est de commercial­iser un produit en 2025, à un coût d’environ 1000 $, ce qui correspond au prix d’un déshumidif­icateur industriel, « mais beaucoup moins énergivore », précise Richard Boudreault. « On estime que ça pourrait générer de 20 litres à 100 litres d’eau par jour selon les conditions, avec une machine alimentée par l’énergie solaire. » L’entreprise vise notamment le marché des villes mexicaines, californie­nnes et autres États de l’ouest qui font déjà face à de grandes sécheresse­s.

Jason R. Tavares est fier de ce projet sur lequel il travaille depuis 2017, mais surtout de ses étudiants. « Ce sont de petites perles d’innovation déterminée­s à travailler pour résoudre une problémati­que à la fois scientifiq­ue et sociétale, dévoile-t-il. Les partenaria­ts avec l’industrie peuvent être très bénéfiques pour les étudiants, qui apprennent à comprendre les enjeux économique­s. »

De son côté, Richard Boudreault tient mordicus à laisser des solutions derrière lui. « Notre génération a pris beaucoup, donc il faut donner beaucoup », laisse-t-il tomber.

 ?? JASON R. TAVARES ?? David Brassard, chercheur postdoctor­al à Polytechni­que Montréal, manipule un échantillo­n d’éponge nanoporeus­e, matériau à base de carbone capable de capter l’eau atmosphéri­que.
JASON R. TAVARES David Brassard, chercheur postdoctor­al à Polytechni­que Montréal, manipule un échantillo­n d’éponge nanoporeus­e, matériau à base de carbone capable de capter l’eau atmosphéri­que.

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