Le Devoir

Renouveler les plaisirs et son coffre à jeux

Dur de faire décrocher enfants et ados de leurs écrans pendant la relâche ? Pour reconnecte­r tous ensemble autour d’une activité familiale qui combine rire et réflexion, rien ne vaut un bon jeu de société !

- TRISTAN ROULOT COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Dans la famille « joueurs », je demande : le petit dernier à l’attention pas encore très développée (il vient d’ailleurs de se glisser sous la table), la mère déjà fatiguée à l’idée d’écouter des règles, le grand-père qui somnole un peu, la grand-mère qui veut que ce soit rapide, le père qui s’énerve à décrypter le langage hermétique du livret de règles, et l’ado qui n’a qu’une envie : retourner sur TikTok. Dans ces conditions, pas évident de proposer un jeu qui plaira à tous. Bien sûr, il y a toujours les indéboulon­nables Skulls, Love Letter ou encore Happy Salmon pour garantir un plaisir immédiat à tout âge — vous pouvez retrouver nos critiques de ces titres sur notre site Internet et, si vous ne les connaissez pas, en un mot : foncez ! —, mais si, comme nous, vous avez enchaîné les parties au point que les cartes sont aussi élimées que de vieux ronds à bière, une énième partie perd un peu de son charme. Il est temps de renouveler les plaisirs, par exemple avec Sire Sire.

Bonjour veaux, vaches, chevaliers

Dans l’univers médiéval de Sire Sire, tout est gratuit ! Animaux d’élevage (chevaux, lapins, oies, etc.), mais aussi chevaliers, fermes et fermières, sont distribués à la vue de tous, en plusieurs rangées de cartes. Chaque manche, les joueurs vont pointer simultaném­ent du doigt la rangée de leur choix en criant « Sire ! Sire ! » puis son numéro. Si vous êtes seul sur une rangée, tant mieux pour vous, vous empochez les cartes présentes, qui rejoignent votre cheptel. Mais bien souvent, certaines rangées de cartes, bien plus lucratives, intéressen­t plusieurs joueurs. Dans ce cas, on enlève une carte, les joueurs concernés ne prennent rien et le jeu reprend. Sire Sire est donc un jeu de plis, pas si éloigné du jeu des sept familles. Plus on possède d’une même carte, plus ça démultipli­e sa valeur,

avec d’intéressan­tes variations qui récompense­nt les prises de risque : seul celui qui possède le plus d’églises gagne 10 points, par exemple. Ou encore, on marque 1 point pour un seul cochon… mais 15 points si on réussit à obtenir les 5 ! Le jeu oblige ainsi à se concentrer sur nos combinaiso­ns, tout en gardant à l’oeil nos concurrent­s pour mieux leur enlever sous le nez la carte qui finissait leur série. On a été conquis par Sire Sire, un jeu rapide et intense qui s’explique en deux minutes, avec juste ce qu’il faut de mauvais esprit pour exciter le petit tannant qui sommeille en chacun de nous.

Des abeilles dans l’espace

Le thème d’Apiary pique l’intérêt ! Les humains ont disparu et les abeilles ont évolué jusqu’à prendre notre place. Mieux : dotées d’une organisati­on basée sur l’entraide, elles ont réussi là où nous avons échoué : partir à la conquête de l’espace. Apiary est un jeu de placement d’ouvriers, inspiré de l’école allemande. Peu de hasard, peu d’interactio­ns frustrante­s entre les joueurs, mais une mécanique imparable où chaque décision a un effet sur le jeu sur le long terme. Le maître mot ici est : concentrat­ion. Vous aurez le cerveau qui fume, c’est dit. Si les discussion­s et les négociatio­ns étaient au coeur de Sire Sire, ici, c’est un silence tendu qui prime, chacun ayant tendance à élaborer dans sa tête la séquence parfaite pour ses prochains tours. La mécanique est classique : à son tour, on pose l’un de ses quatre ouvriers quelque part sur le plateau pour résoudre une action : exploratio­n spatiale, échange de ressources (miel, fibres, cire, etc.), pioche de cartes, développem­ent d’alvéoles, etc. Mais le nombre d’actions possibles est déroutant, tandis que leur implicatio­n reste longtemps un mystère. Pourquoi explorer l’espace plutôt que construire une ferme quand les deux rapportent des ressources ? Pourquoi développer sa ruche au lieu de faire évoluer ses ouvriers ? On se sent prisonnier du rêve d’un mathématic­ien un peu fou. La mécanique abstraite d’Apiary laissera même les joueurs les plus aguerris dans le brouillard, au point, disons-le tout net, d’avoir envie de refermer la boîte en cours de jeu en se promettant d’y revenir un jour (ce qu’on ne fera sans doute jamais). Ce serait une grave erreur. Soudain, lors de la première partie d’initiation, tout tombe enfin sous le sens, avec un accent mis sur la collaborat­ion entre les joueurs, fidèle au thème de la ruche, qui apporte une vraie fraîcheur au genre. Apiary est une merveille ludique, un joyau ciselé à la perfection dont on ne perçoit la saveur qu’après avoir pelé les premières couches de l’oignon : vous aurez envie de pleurer un peu au début, mais une fois bien préparé, il risque d’occuper longtemps votre table.

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 ?? ?? Apiary, Matagot éditeur, 1 à 5 joueurs, 90 minutes, 100 $ environ
Apiary, Matagot éditeur, 1 à 5 joueurs, 90 minutes, 100 $ environ
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Sire Sire, Oya éditeur, 2 à 4 joueurs, 20 minutes, 20 $ environ

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