Union CNA-OSQ pour célébrer Jacques Hétu
L’alliance de ces deux orchestres prélude-t-elle à une fraternité plus poussée des institutions musicales ?
L’Orchestre du Centre national des arts du Canada (CNA) et l’Orchestre symphonique de Québec (OSQ) joindront leurs forces pour présenter la 5e Symphonie de Jacques Hétu lors de concerts au Grand Théâtre de Québec mercredi, à Toronto le 2 mars et à Ottawa les 7 et 8 mars, où l’oeuvre sera enregistrée. L’idée émane du directeur musical de l’Orchestre du CNA, Alexander Shelley, et ouvre de nombreuses perspectives de collaboration entre les orchestres canadiens.
« L’idée a émergé d’un plan stratégique lié à la mission du Centre national des arts du Canada en période postpandémique. Il y avait une volonté d’amener le secteur musique à ouvrir les yeux et rechercher le plus de collaborations possible, en termes d’expériences, de connaissances et de capacités. Il pouvait simplement s’agir de s’aider, de s’épauler. Nous avons tenté de mettre cela en oeuvre de diverses façons. Nous avons déjà une relation d’échange avec l’Orchestre symphonique de Toronto. Par ailleurs, nous créons un nouveau programme de chefs d’orchestre résidents pour les chefs canadiens, à compter de la saison 2024-2025. Ils iront une semaine à Toronto et une semaine à Montréal. Ce sont ces types de partenariats sur lesquels nous travaillons », dit Alexander Shelley au Devoir.
Par ailleurs se sont élaborés des projets qui « sortent de l’ordinaire » et « celui-ci en est un », ajoute le directeur musical de l’Orchestre du CNA. « Nous sommes allés rarement à Québec, alors nous nous sommes dit : “C’est important pour l’Orchestre du CNA d’avoir une relation plus forte avec la capitale nationale du Québec. Pouvons-nous trouver avec l’OSQ un projet musical rassembleur ?” La 5e Symphonie de Jacques Hétu a émergé très vite en raison de la dimension de l’oeuvre, mais aussi par le fait qu’elle n’a pas été jouée si souvent depuis sa création. »
Une grande partition
Créée en mars 2010 à Toronto, sous la direction de Peter Oundjian, un mois après la disparition de Jacques Hétu, la Symphonie no 5 est le chant du cygne du grand compositeur québécois, une oeuvre de 45 minutes avec un finale choral, comme la 9e Symphonie de Beethoven, sur le poème Liberté de Paul Éluard.
La symphonie décrit Paris avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Le contexte permet à Jacques Hétu de convoquer ses deux héros : Mahler, dans le 3e mouvement, décrivant l’occupation allemande de Paris, moment d’une grande tension, dont les frictions évoquent la 10e Symphonie de Mahler, et Chostakovitch, dont l’ombre plane sur un scherzo déchaîné (2e mouvement) et qui lui donne l’idée, au début de l’oeuvre, d’employer un motif musical récurrent, procédé utilisé par le Russe à la fin de son ultime symphonie.
Alexander Shelley voit dans le finale sur Liberté d’Éluard « le sens littéral dans le contexte de son écriture, la Seconde Guerre mondiale, mais aussi des allusions à toutes les libertés que nous devons préserver dans notre monde ».
C’est après avoir contacté le Choeur Mendelssohn de Toronto que le projet a pu être monté avec des concerts dans les trois villes. « Le Symphonique de Toronto est notre partenaire ; il est le commanditaire de l’oeuvre qu’il a créée et il était ravi de voir l’oeuvre rejouée », se réjouit le chef.
Ici, la création québécoise de la 5e Symphonie avait eu lieu en juillet 2010 au Festival de Lanaudière par l’Orchestre symphonique de Québec sous la direction de Yoav Talmi. JeanMarie Zeitouni l’avait ensuite dirigée à Edmonton en 2017, et Jean-Michel Malouf au Saguenay en avril 2019. Yannick Nézet-Séguin l’a présentée au Centre national des arts et à la Maison symphonique en février 2020.
Un jeune soliste
Le hasard rassemble à nouveau Clemens Schuldt, directeur musical de l’OSQ, et Alexander Shelley, directeur musical du CNA. « Nous étions ensemble au Conservatoire à Dusseldorf, en Allemagne. J’y étais étudiant à partir de 1998. Il est arrivé en 2001. J’avais formé un ensemble, la Schumann Camerata, et il est venu jouer du violon dans l’ensemble. Il a commencé à diriger quand je finissais mes études et a repris ainsi certains concerts avec mon ensemble que je ne pouvais diriger. Ensuite, ma carrière a démarré et on ne s’est pas vus depuis. Cela fait 20 ans que nous ne nous sommes pas salués, mais la coïncidence me rend très heureux », se souvient Alexander Shelley.
Cette camaraderie suppose-t-elle que le partenariat des prochaines semaines, qui débouchera d’ailleurs sur l’enregistrement d’un disque à l’issue des concerts donnés à Ottawa, est le ferment de nombreuses autres associations ? « Je ne saurais le dire. Il nous faut construire une signification de ce type de projets. J’espère un succès, car la musique est fantastique. Il faut voir quelles portes cela peut ouvrir. On peut poursuivre cette collaboration ou en imaginer d’autres, et pas forcément dans l’est du Canada. »
Il n’est donc pas exclu que le format qui réunit aujourd’hui l’Orchestre du CNA et l’OSQ puisse associer demain le CNA et l’OSM ou le CNA et le Toronto ou le Vancouver Symphony. A contrario, on pourrait imaginer un partenariat CNA-OSQ solidifié, avec une réciprocité faisant alterner Alexander Shelley et Clemens Schuldt au pupitre.
De manière surprenante, Alexander Shelley, qui pétille d’idées, ne semble pas avoir de projets artistiques préconçus lorsqu’on lui demande quelles pourraient être les prochaines voies collaboratives : « Honnêtement, je n’ai pas pensé au futur. Je veux voir ce qui se passe là, les points positifs et les limites. Il y a plusieurs options dans la collaboration musicale. De grands événements de ce type, tout comme des choses à échelle plus réduite, voire des commandes communes pour explorer de nouvelles idées créatives : je suis ouvert et vous promets que je ne vous cache rien ! »
Lors des concerts de cette tournée, la 5e Symphonie de Jacques Hétu sera associée à une oeuvre récente, Dark Nights, Bright Stars, Vast Universe, commande de l’Orchestre du CNA à la compositrice canadienne KellyMarie Murphy créée à Ottawa en 2023, captée en vidéo et disponible sur YouTube.
La partie concerto du programme sera particulièrement intéressante, avec le Concerto pour piano no 2 de Saint-Saëns par Kevin Chen qui, à 18 ans, se produira pour la première fois avec orchestre à Québec, Toronto et Ottawa. Chen, un natif de Calgary, est ce nouveau phénomène du piano au Canada, qui a remporté les premiers prix successivement au Concours international de piano de Genève en novembre 2022 et au 17e Concours Arthur Rubinstein de Tel-Aviv en mars 2023.
« Nous voulons montrer des artistes canadiens. Nous avons entendu parler de lui, mais, avec son jeune âge, il ne s’est pas encore fait un nom ici. Cette tournée est donc une formidable occasion pour lui. Je voulais aussi que de la musique canadienne ouvre le concert. Nous avons choisi l’oeuvre de Kelly-Marie Murphy, car ce sera un contraste fort intéressant à Jacques Hétu pour célébrer la créativité canadienne », explique Alexander Shelley.
Heureux hasard des calendriers, et petit baume au coeur des Montréalais, le prodige Kevin Chen sera en récital à Montréal dimanche 25 février à 15 h, à la salle Pierre-Mercure, invité de Pro Musica. Il interprétera la 28e Sonate, op. 101 de Beethoven, la Fantaisie op. 28 de Mendelssohn, La valse de Ravel, dans un arrangement du compositeur, ainsi que les sonnets 47, 104 et 123 de Pétrarque et Réminiscences de Norma de Liszt.