La famille à marée basse
Meredith Hama-Brown signe avec Seagrass un film à la fois incisif et poétique sur les affres liées au couple, à la parentalité et à l’enfance
Afin de raccommoder leur mariage, Judith et Steve passent quelques jours dans une retraite conjugale sise sur une île. Leurs filles Stephanie et Emmy sont du voyage. Alors que Judith tente désespérément d’exprimer ses maintes insatisfactions, Steve demeure quant à lui obstinément fermé. Tandis que la tension monte entre les époux, leurs filles sont en proie à leurs propres tourments. Prix de la critique internationale au TIFF, Seagrass (Écho de la mer) est le premier long métrage de Meredith Hama-Brown, avec qui Le Devoir s’est entretenu.
« Les premières images qui me sont venues, avant même un début de récit, sont celles de deux soeurs qui sont dans cette relation caractéristique de protection de l’autre et de rejet de l’autre tout à la fois », confie la cinéaste de Vancouver.
Ainsi l’aînée Stephanie se montret-elle attentive à sa petite soeur Emmy en privé, mais tout en prenant ses distances en public. Cela, afin d’impressionner favorablement les autres jeunes filles de son âge, dont les parents sont également en thérapie de couple.
S’il suit en alternance chaque membre de la famille, le film privilégie indéniablement le point de vue de Judith. Meredith Hama-Brown relate l’histoire de cette femme au sein d’une mise en scène aussi inspirée que concertée.
« Pendant l’écriture, j’ai évidemment des flashs de scènes qui me viennent. Cela dit, ces idées préliminaires ne restent pas toutes. Quand je commence le travail de conception visuelle avec mon directeur photo, Norm Li, avec qui j’ai collaboré sur tous mes courts métrages, mon imagination se déploie davantage, au contact de la sienne.
Nous établissons graduellement le langage visuel du film. Par exemple, pour Seagrass, nous avons décidé que les séquences avec les parents seraient filmées de manière statique, surtout en plans larges, d’une manière objective. Pour les filles, nous avons opté pour une caméra légère et nerveuse, afin de capter à la fois la spontanéité de l’enfance, mais aussi le stress, l’anxiété. »
En fait, chacune et chacun se débat, à sa manière, avec un sentiment d’isolement, voire d’aliénation. C’est particulièrement vrai de Judith.
« Le thème de l’isolement, de la solitude, est très présent dans mes courts et il s’est imposé tout naturellement dans ce premier long. Je précise toutefois que, contrairement à ce qui a circulé, le film n’est pas autobiographique. C’est simplement que certains thèmes sont très personnels. Outre l’isolement, l’héritage japonais du personnage de Judith, que je partage par ma mère, est central. »
De fait, c’est ce legs culturel qui détermina le théâtre de l’action.
« Pour moi, camper le film sur une île allait de soi. D’une part, ça rendait les personnages prisonniers, symboliquement, d’un lieu confiné, et où il devient donc de plus en plus difficile de réprimer les frustrations qui les animent. D’autre part, il faut savoir que la mer, la côte Pacifique, ça revêt une importance psychologique immense pour la communauté canadojaponaise. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les immigrants japonais qui vivaient sur la côte pacifique ont été internés dans des camps, à l’intérieur des terres. Sauf que, même après la guerre, il leur a été interdit pendant des années d’habiter à moins de 200 kilomètres de la côte. Il y a là tout un trauma historique que je souhaitais explorer. »
Pour le personnage de Judith, qui a vécu « à l’intérieur des terres », se trouver soudain en présence de la mer tout autour a quelque chose de libérateur. D’ailleurs, le parcours psychologique de Judith qui passe, non sans heurts, d’un état de répression à un état d’expression, constitue la trame principale du film.
« Tout à fait, opine la cinéaste. C’est drôle, parce qu’il y a des gens qui auraient préféré une fin, une résolution plus nette, plus classique. Alors que la résolution, c’est ça : c’est la prise de parole de cette femme qui s’est débattue tout le film non seulement pour trouver les mots, mais pour être entendue. »