L’omnivore québécois
Alors que le gouvernement Legault se passionne pour la filière batterie et les promesses d’électrification, HEC Montréal a lancé une sérieuse mise en garde dans la 10e édition de l’État de l’énergie au Québec. L’ouvrage dresse de lucides constats sur le gaspillage et la surconsommation énergique, qu’il faudra enrayer pour réussir la transition énergétique. Pour l’heure, nous roulons à tombeau ouvert vers l’échec, en état « d’ébriété énergétique », dans un pick-up en solo de préférence.
Saluons le travail méticuleux de Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, pour la production de cette mine d’or de renseignements sur notre consommation d’énergie. Pineau et ses collègues lancent un cri d’alarme. Nos ambitions et nos prétentions de verte vertu se heurtent à l’implacable réalité. En dix ans, l’augmentation du parc automobile et de la superficie résidentielle, commerciale et industrielle a entraîné une surenchère dans la consommation énergétique, un problème balayé sous le tapis par le mirage de l’électrification.
Les appels des ténors du gouvernement Legault et d’Hydro-Québec pour relancer la construction de grands ouvrages hydroélectriques, afin de répondre à la demande future, cachent un mal nommé gaspillage. Pas convaincus ? Selon l’analyse d’HEC Montréal, environ la moitié de toute l’énergie consommée au Québec est perdue et n’apporte aucune valeur à l’économie. Le Québec fait partie du palmarès mondial des plus grands consommateurs d’énergie par habitant, pas très loin derrière l’ensemble du Canada et les États-Unis. Notre consommation est quatre fois plus élevée que la moyenne mondiale, et elle repose encore à 50 % sur des sources d’énergie fossiles.
En dépit des promesses d’électrification du parc automobile, le transport dépend encore à 97 % des produits pétroliers. Depuis 1990, malgré les améliorations notables dans l’efficacité énergétique des voitures, la consommation d’énergie de ce segment a bondi de 41 %, et la taille du parc automobile a grimpé de 57 %. La croissance démographique a augmenté de 23 % pour la même période. Nous sommes toujours plus solitaires derrière le volant, et nos choix portent une lourde empreinte énergétique et environnementale. Le segment des camions légers (VUS, pick-up et camionnettes) a vu sa consommation augmenter de 174 %. Le nombre de ces camions légers pour passagers a bondi de 332 %. C’est le leader des ventes depuis 2015 dans cette nation qui n’est pas à une contradiction de près entre ses prétentions environnementales et son comportement irrémédiablement individualiste et insouciant.
Alors, réfléchissons-y à deux fois quand le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, vient vilipender tous ceux qui posent des questions pourtant légitimes sur l’accessibilité sociale du projet de Northvolt. Sans remettre en question l’utilité de cette usine de batteries, nécessaire à la transition énergétique, demandons aussi des comptes sur les efforts que le gouvernement consacre à la lutte contre le gaspillage et l’inconséquence de nos choix de développement. Dans la même veine, exigeons plus de vision et de détermination de l’État dans la réalisation des grands projets de transport collectif et le financement pérenne des sociétés de transport.
Encore récemment, l’Alliance Transit proposait un train de mesures pour alléger la crise financière vécue au sein des sociétés de transport. L’organisme suggérait notamment une indexation de la taxe sur le carburant et l’immatriculation, de même qu’un rééquilibrage entre le financement du transport collectif et celui du réseau routier. Selon l’analyse de l’organisme, le réseau routier reçoit 70 % des investissements prévus au Plan québécois des infrastructures, comparativement à 30 % pour le transport collectif.
Les données de l’État de l’énergie au Québec appuient l’idée d’un coup de barre majeur. L’atteinte de nos ambitieux objectifs climatiques sera hors de portée si les tendances actuelles se maintiennent. Électrifier le parc automobile ; il faudra aussi diminuer le nombre des voitures sur les routes et encourager la mobilité active. Pineau avance l’imposition de taxes sur le kilométrage et le stationnement pour freiner la croissance du parc automobile, en particulier dans le segment des camions légers. Sans une politique d’écofiscalité ou de restrictions réglementaires, nous nous heurterons à un mur. Le tout-à-l’électrique dans le secteur du transport nous donnera bonne conscience, mais il s’accompagnera d’une augmentation de la demande sur le réseau électrique, sans parler de la pression sur le réseau routier et l’extraction des ressources minérales nécessaires à la fabrication des batteries.
Notre mode de vie, marqué par l’individualisme, nous fera reculer dans l’atteinte de la carboneutralité (prévue pour 2050) et la protection de l’environnement si nous n’agissons pas pour améliorer l’offre de transports collectifs et réduire la part modale du voiturage en solo. Sur ces questions essentielles, le gouvernement Legault manque à la fois de vision, de courage et d’audace.