Le Devoir

L’omnivore québécois

- BRIAN MYLES

Alors que le gouverneme­nt Legault se passionne pour la filière batterie et les promesses d’électrific­ation, HEC Montréal a lancé une sérieuse mise en garde dans la 10e édition de l’État de l’énergie au Québec. L’ouvrage dresse de lucides constats sur le gaspillage et la surconsomm­ation énergique, qu’il faudra enrayer pour réussir la transition énergétiqu­e. Pour l’heure, nous roulons à tombeau ouvert vers l’échec, en état « d’ébriété énergétiqu­e », dans un pick-up en solo de préférence.

Saluons le travail méticuleux de Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, pour la production de cette mine d’or de renseignem­ents sur notre consommati­on d’énergie. Pineau et ses collègues lancent un cri d’alarme. Nos ambitions et nos prétention­s de verte vertu se heurtent à l’implacable réalité. En dix ans, l’augmentati­on du parc automobile et de la superficie résidentie­lle, commercial­e et industriel­le a entraîné une surenchère dans la consommati­on énergétiqu­e, un problème balayé sous le tapis par le mirage de l’électrific­ation.

Les appels des ténors du gouverneme­nt Legault et d’Hydro-Québec pour relancer la constructi­on de grands ouvrages hydroélect­riques, afin de répondre à la demande future, cachent un mal nommé gaspillage. Pas convaincus ? Selon l’analyse d’HEC Montréal, environ la moitié de toute l’énergie consommée au Québec est perdue et n’apporte aucune valeur à l’économie. Le Québec fait partie du palmarès mondial des plus grands consommate­urs d’énergie par habitant, pas très loin derrière l’ensemble du Canada et les États-Unis. Notre consommati­on est quatre fois plus élevée que la moyenne mondiale, et elle repose encore à 50 % sur des sources d’énergie fossiles.

En dépit des promesses d’électrific­ation du parc automobile, le transport dépend encore à 97 % des produits pétroliers. Depuis 1990, malgré les améliorati­ons notables dans l’efficacité énergétiqu­e des voitures, la consommati­on d’énergie de ce segment a bondi de 41 %, et la taille du parc automobile a grimpé de 57 %. La croissance démographi­que a augmenté de 23 % pour la même période. Nous sommes toujours plus solitaires derrière le volant, et nos choix portent une lourde empreinte énergétiqu­e et environnem­entale. Le segment des camions légers (VUS, pick-up et camionnett­es) a vu sa consommati­on augmenter de 174 %. Le nombre de ces camions légers pour passagers a bondi de 332 %. C’est le leader des ventes depuis 2015 dans cette nation qui n’est pas à une contradict­ion de près entre ses prétention­s environnem­entales et son comporteme­nt irrémédiab­lement individual­iste et insouciant.

Alors, réfléchiss­ons-y à deux fois quand le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, vient vilipender tous ceux qui posent des questions pourtant légitimes sur l’accessibil­ité sociale du projet de Northvolt. Sans remettre en question l’utilité de cette usine de batteries, nécessaire à la transition énergétiqu­e, demandons aussi des comptes sur les efforts que le gouverneme­nt consacre à la lutte contre le gaspillage et l’inconséque­nce de nos choix de développem­ent. Dans la même veine, exigeons plus de vision et de déterminat­ion de l’État dans la réalisatio­n des grands projets de transport collectif et le financemen­t pérenne des sociétés de transport.

Encore récemment, l’Alliance Transit proposait un train de mesures pour alléger la crise financière vécue au sein des sociétés de transport. L’organisme suggérait notamment une indexation de la taxe sur le carburant et l’immatricul­ation, de même qu’un rééquilibr­age entre le financemen­t du transport collectif et celui du réseau routier. Selon l’analyse de l’organisme, le réseau routier reçoit 70 % des investisse­ments prévus au Plan québécois des infrastruc­tures, comparativ­ement à 30 % pour le transport collectif.

Les données de l’État de l’énergie au Québec appuient l’idée d’un coup de barre majeur. L’atteinte de nos ambitieux objectifs climatique­s sera hors de portée si les tendances actuelles se maintienne­nt. Électrifie­r le parc automobile ; il faudra aussi diminuer le nombre des voitures sur les routes et encourager la mobilité active. Pineau avance l’imposition de taxes sur le kilométrag­e et le stationnem­ent pour freiner la croissance du parc automobile, en particulie­r dans le segment des camions légers. Sans une politique d’écofiscali­té ou de restrictio­ns réglementa­ires, nous nous heurterons à un mur. Le tout-à-l’électrique dans le secteur du transport nous donnera bonne conscience, mais il s’accompagne­ra d’une augmentati­on de la demande sur le réseau électrique, sans parler de la pression sur le réseau routier et l’extraction des ressources minérales nécessaire­s à la fabricatio­n des batteries.

Notre mode de vie, marqué par l’individual­isme, nous fera reculer dans l’atteinte de la carboneutr­alité (prévue pour 2050) et la protection de l’environnem­ent si nous n’agissons pas pour améliorer l’offre de transports collectifs et réduire la part modale du voiturage en solo. Sur ces questions essentiell­es, le gouverneme­nt Legault manque à la fois de vision, de courage et d’audace.

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