Le Devoir

Développer une production hybride des réservoirs hydro-québécois

Leurs grandes surfaces font d’exceptionn­els puits d’énergie éolienne, comparable­s à ceux qui sont exploités en mer

- Louis-Gilles Francoeur au Devoir, l’auteur est ex-vice-président du BAPE.

La récente entente entre HydroQuébe­c et des Innus de la CôteNord pourrait ouvrir la porte à de nouveaux projets hydroélect­riques et éoliens, ce qui ajouterait au désenclave­ment de milieux naturels vierges avec son cortège d’atteintes à leur biodiversi­té, pourtant si importante pour la survie de la culture autochtone.

Il serait pourtant possible de laisser ces territoire­s en paix, y compris aussi des paysages de grande valeur du Québec habité et plusieurs milieux agricoles actuelleme­nt visés par les promoteurs éoliens, tout en augmentant la production d’électricit­é, en énergie et en puissance, si on la concentrai­t dans les milieux déjà artificial­isés en grande partie que sont les grands réservoirs d’Hydro-Québec par le biais d’une production hybride qui intégrerai­t dans le même territoire les énergies éolienne et hydrauliqu­e.

Si notre production d’hydroélect­ricité s’avère particuliè­rement intéressan­te dans la lutte contre les changement­s climatique­s, mais au prix d’importante­s atteintes à la biodiversi­té, une future production hybride d’électricit­é pourrait davantage protéger la biodiversi­té en épargnant de nouvelles empreintes humaines majeures aux cours d’eau, aux milieux naturels et habités du Québec.

Lorsque notre première société d’État a construit ses grands réservoirs, elle a créé non pas une, mais deux sources d’énergie. Si le Québec exploite fort bien la puissance de la force hydrauliqu­e, notre première société d’État a jusqu’ici complèteme­nt ignoré le fait que les grandes surfaces d’eau de ses réservoirs sont d’exceptionn­els puits d’énergie éolienne, comparable­s à ceux qu’exploitent en mer ou en milieux maritimes plusieurs pays en raison de la puissance et de la constance exceptionn­elle des vents qui s’y développen­t.

Dans leur livre L’éolien au coeur de l’incontourn­able révolution énergétiqu­e (Multimonde­s, 2009), deux éminents spécialist­es, Réal Reid et Bernard Saulnier, établissen­t à plus de 900 TW l’énergie éolienne qu’on peut présenteme­nt « stocker » dans les réservoirs actuels d’Hydro-Québec, soit neuf fois plus que les 100 TW dont Québec prétend avoir besoin dans la prochaine décennie pour satisfaire l’appétit des voitures électrique­s, de la filière des batteries et d’autres projets industriel­s.

Optimisati­on

En réalité, le Québec pourrait probableme­nt se passer pour au moins une génération d’aménager de nouveaux cours d’eau, petits et grands, ainsi que de désenclave­r et développer de nouveaux parcs éoliens dans des milieux naturels vierges ou habités s’il mettait en place un plan d’intégratio­n et d’optimisati­on des énergies éolienne et hydrauliqu­e, autour et dans ses réservoirs hydroélect­riques actuels, concentran­t à la fois les impacts et les bénéfices de cette production dans des milieux déjà artificial­isés et peu habités.

Hydro-Québec a déjà expériment­é, avec succès sur le plan économique et énergétiqu­e, une formule apparentée, soit le détourneme­nt de rivières non aménagées vers des bassins déjà aménagés. On pense ici, par exemple, au détourneme­nt de l’Eastmain vers les turbines de La Grande ou des rivières Carheil et Aux Pékans, des affluents de la Moisie, vers les turbines du complexe Sainte-Marguerite. Par contre, sur le plan environnem­ental, le succès était moins reluisant puisque cela atrophiait radicaleme­nt les rivières détournées et segmentait, sans mitigation importante, des milieux naturels avec les canaux de dérivation. Quant au stockage de l’éolien dans les barrages, c’est déjà une réalité technologi­que et économique chez Hydro-Québec au profit des promoteurs privés, qui bénéficien­t ainsi de l’équilibrag­e réglementé de leur production.

Dans tous ces grands réservoirs, le vent se concentre à 70 ou à 75 % généraleme­nt sur une rive en particulie­r, la plupart du temps celle située dans l’axe ouest-est des vents dominants. Les sommets des montagnes ainsi placées sous ces vents dominants sont des puits éoliens de haute qualité en raison de la compressio­n des vents de basse et haute altitude. La rive de ces mêmes secteurs a des qualités presque aussi importante­s, ainsi que la berge, dans laquelle on peut installer d’autres éoliennes jusqu’à une certaine profondeur de l’eau.

De plus, de nombreux réservoirs hydro-québécois sont remplis d’îles, lesquelles sont en réalité les sommets de montagnes immergées. Ces îles ont, elles aussi, un important potentiel éolien, tout comme les sommets ennoyés d’autres montagnes, qui effleurent souvent la surface et qui, une fois émergés, pourraient accueillir aussi des éoliennes, construite­s au sec et à meilleur coût que la constructi­on en mer, lorsque la société d’État devra, de toute façon, abaisser le niveau de ses réservoirs pour moderniser tour à tour les turbines de ses plus vieilles centrales.

L’arrivée prochaine d’éoliennes de 8 MW, voire de 10 MW et plus, qu’annoncent les grands turbiniers internatio­naux aurait beaucoup moins d’impacts visuels et sonores sur ces îles ou autour des grands réservoirs que si on entreprend de les installer dans des milieux périurbain­s ou agricoles. Mais la productivi­té de ces méga-éoliennes serait très intéressan­te, en énergie et en puissance, dans et autour des réservoirs hydro-québécois d’autant plus que le transport sur eau de ces énormes équipement­s serait facilité d’autant. Il faudrait quand même réaliser des études sur l’impact potentiel des infrasons de ces mégamachin­es sur les espèces aquatiques et sur la gestion des niveaux d’eau dans les rivières qui hériteraie­nt de volumes d’eau supérieurs en raison de possible surproduct­ion d’électricit­é.

Une gestion hybride

Mais un fait demeure, toutes les technologi­es existent pour transporte­r sur les réservoirs l’équipement et les matériaux de constructi­on nécessaire­s, tout comme les centrales existantes pourraient traiter avec les équipement­s en place cette énergie avant de l’acheminer vers les utilisateu­rs. Certes, de grands apports éoliens modifierai­ent la gestion des réservoirs, calibrés initialeme­nt en fonction de la pluviométr­ie locale.

Il faudrait alors soit augmenter le facteur d’utilisatio­n des centrales en raison des apports supplément­aire de l’éolien, soit, si ces apports devenaient trop importants, penser à augmenter le nombre de turbines des centrales existantes lors de leur modernisat­ion, ce qu’Hydro-Québec a déjà fait après avoir dérivé des cours d’eau de bassins-versants voisins.

Multiplier le nombre de turbines sur des cours d’eau déjà artificial­isés aurait certaineme­nt moins de conséquenc­es négatives pour la biodiversi­té et plus de conséquenc­es positives sur les profits d’Hydro-Québec que de construire de nouveaux barrages et turbines sur des cours d’eau vierges. Tout comme il deviendrai­t possible de transporte­r avec moins d’impacts cette énergie additionne­lle dans les corridors électrique­s existants, quitte à les élargir, plutôt que d’en créer de nouveaux. Et au total, en optimisant l’utilisatio­n hybride de ses réservoirs, Hydro-Québec, le gouverneme­nt et la population toucheraie­nt la rente de cette production de nos ressources collective­s au lieu de la laisser filer dans les poches de riches promoteurs privés.

On doit à Hydro-Québec l’invention des lignes à 750 kV pour optimiser le transport de grandes puissances sur de longues distances. Les ingénieurs d’Hydro-Québec sont, et de loin, capables de mettre au point un système de gestion hybride innovateur de nos grands réservoirs, une formule qui pourrait faire des petits à l’échelle internatio­nale au moment où le réchauffem­ent du climat a commencé à mettre les producteur­s d’hydroélect­ricité face à des baisses de niveaux sans précédent. Y compris Hydro-Québec…

Une future production hybride d’électricit­é pourrait davantage protéger la biodiversi­té en épargnant de nouvelles empreintes humaines majeures aux cours d’eau, aux milieux naturels et habités du Québec

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