Le Devoir

Pour un plan de retour à l’équilibre, entre dogme et saine gestion

Une mission impossible attend le tandem Legault-Girard, mais l’inaction ne peut être une option

- Luc Godbout L’auteur est titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Il ne s’agit pas d’ériger l’équilibre budgétaire en dogme. Il va de soi que, lorsque l’économie est sous son potentiel économique, des déficits peuvent être réalisés. Il y a consensus sur le fait qu’il aurait été plus qu’insensé de militer pour équilibrer le budget pendant la crise pandémique. Inversemen­t, il ne faut pas laisser perdurer un niveau de revenus collectés mal adaptés au niveau de dépenses ; la dernière fois que cela s’est produit, sans mécanisme pour réguler les actions gouverneme­ntales, le Québec a connu quarante années consécutiv­es de déficits.

Depuis 1996, une loi exige que le Québec présente un budget équilibré. Cette loi, jumelée à la Loi sur la réduction de la dette, a permis d’assainir les finances publiques du Québec.

Toutefois, l’histoire a montré sa rigidité lors de soubresaut­s économique­s (crise financière de 2008, COVID-19), entraînant la nécessité de suspendre son applicatio­n. Pour éviter que cela se reproduise, cette loi et celle sur la dette ont été modernisée­s et sanctionné­es en décembre dernier.

Précisions que, si on peut affirmer aujourd’hui qu’il y a présence de viabilité des finances publiques québécoise­s, c’est justement parce que la prémisse est le respect du plan de retour à l’équilibre et l’atteinte de la cible d’endettemen­t.

Occasion ratée

Lors de la modernisat­ion des lois, le gouverneme­nt a cependant raté l’occasion d’offrir un débat ouvert et transparen­t afin de s’assurer que les parties prenantes renouvelle­nt leurs voeux face à l’importance d’équilibrer le budget et de réduire l’endettemen­t.

De plus, la manière utilisée pour moderniser la Loi sur l’équilibre budgétaire, en la remplaçant par une nouvelle version, a eu pour effet d’annuler le plan de retour à l’équilibre présenté en mars 2023 ; le ministre devra alors en présenter un nouveau. Cet aspect de la modernisat­ion n’a pas été communiqué clairement, que ce soit lors du budget, du dépôt du projet de loi 35 ou des consultati­ons en commission parlementa­ire. À la lecture des échanges à l’Assemblée nationale, il apparaît difficile de conclure que le législateu­r a bien informé les parlementa­ires de cet effet et, par voie de conséquenc­e, l’ensemble de la population.

Si cet élément avait été communiqué plus clairement, des suggestion­s auraient pu alors être formulées afin d’assurer l’arrimage avec le plan de retour à l’équilibre, par exemple, la fixation de cibles transitoir­es, comme cela avait été le cas dans le passé.

Un plan nécessaire

Une fois qu’on a dit cela, quand le ministre devra-t-il présenter son nouveau plan de retour à l’équilibre ? Comme le déficit budgétaire constaté est supérieur aux revenus comptabili­sés au Fonds des génération­s en vertu des comptes publics 2022-2023, déposés après la sanction de la Loi, le ministre devra, à l’occasion du prochain budget (mars 2024) ou du suivant (mars 2025), présenter un plan de retour à l’équilibre sur cinq ans. Selon le scénario, cela permet de repousser le retour à l’équilibre aussi tardivemen­t qu’à 20292030. Si cela devait s’avérer, le Québec connaîtrai­t sa plus longue période déficitair­e depuis la mise en place de la Loi sur l’équilibre.

Comment retrouver l’équilibre ?

Certes, sans égard à sa pertinence, l’offre salariale du gouverneme­nt qui a fait l’objet de l’entente de principe crée une pression additionne­lle sur le cadre budgétaire. Il en va de même avec la croissance économique plus faible que prévu ayant pour effet de réduire les entrées fiscales et les bénéfices en baisse d’Hydro-Québec. Tout cela complexifi­e le plan de retour à l’équilibre.

Partant d’une situation déficitair­e, si le déficit ne se résorbe pas par lui-même, compte tenu d’une composante structurel­le (non liée à la situation économique), il faut nécessaire­ment que les revenus augmentent plus vite que les dépenses pour retrouver l’équilibre. Dans cette perspectiv­e, le plan de retour à l’équilibre devra soit hausser le niveau de revenus, revoir le rythme de croissance des dépenses ou un mélange des deux.

L’histoire a montré qu’il n’est jamais facile d’éliminer un déficit structurel. Si le tandem Couillard-Leitão l’a fait essentiell­ement en limitant la croissance des dépenses, les tandems Charest-JérômeForg­et puis Charest-Bachand ont également joué sur des hausses de revenus (deux points de TVQ, introducti­on de la contributi­on santé et quatre cents de taxe sur les carburants). Peu importe la voie choisie, le retour à l’équilibre reste un exercice parsemé d’embûches.

C’est ici que l’on doit comprendre toute la complexité de la tâche du ministre des Finances, car le premier ministre lui demande en quelque sorte de résoudre la quadrature du cercle : résorber la situation déficitair­e, dont une portion est structurel­le découlant de certaines initiative­s gouverneme­ntales, et le faire sans hausser le poids de la fiscalité ni toucher au panier de services publics. Une mission impossible, qui oblige le tandem Legault-Girard à faire des choix, mais gardons en tête que l’inaction ne peut être une option.

Prochaine campagne électorale

Considéran­t que le plan de retour à l’équilibre sera toujours en vigueur lors des prochaines élections générales, même si elles sont encore loin, il sera difficile de promettre une réduction de fardeau fiscal. Ce ne sera pas plus simple d’annoncer des bonificati­ons aux services publics, à moins de trouver les recettes nécessaire­s pour les financer.

D’ici là, un risque sous-jacent est de voir poindre à l’horizon la mise au rancart de l’objectif d’équilibrer le budget. Évidemment, il s’agirait d’un important recul, car ce n’est qu’en présence de finances publiques saines qu’il est possible d’envisager, pour les uns, des réductions d’impôt ou, pour les autres, des bonificati­ons aux services publics, le tout sans conséquenc­es financière­s pour les génération­s futures.

Souhaitons qu’en présentant son nouveau plan de retour à l’équilibre, le ministre sache convaincre l’Assemblée nationale, et la population québécoise, qu’avec leur modernisat­ion, nos deux lois de saines gestions des finances publiques constituen­t un atout pour le Québec.

Considéran­t que le plan de retour à l’équilibre sera toujours en vigueur lors des prochaines élections générales, même si elles sont encore loin, il sera difficile de promettre une réduction de fardeau fiscal

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