Le Devoir

Si vis pacem…

- FRANÇOIS BROUSSEAU

Si vis pacem, para bellum. La phrase d’un auteur romain du cinquième siècle est l’une des idées fondamenta­les à l’origine du concept de dissuasion. Si tu sais te défendre, que tu en prends les moyens et en fais la démonstrat­ion préventive, l’ennemi potentiel ne t’attaquera pas, et tu resteras en paix.

Les États d’Europe sont actuelleme­nt en train de se réarmer, avec une déterminat­ion et à des degrés divers, devant une guerre d’Ukraine qui entre dans sa troisième année et risque de « déborder ».

La perception d’une Russie belliqueus­e, nostalgiqu­e de sa grandeur, inspire une peur compréhens­ible, bien que la mobilisati­on en Ukraine épuise ce pays, à un degré que l’on sous-estime généraleme­nt.

On parle beaucoup de la résilience de l’économie russe face aux sanctions, et des circuits de contournem­ent — par la Chine et l’Iran, mais aussi la Turquie, le Kazakhstan et les Émirats (Foreign Policy, 22 février), sans oublier les munitions nord-coréennes — qui permettent de limiter leurs effets.

C’est en partie vrai, mais la Russie souffre de son passage à une économie de guerre qui engloutit désormais un tiers de toutes ses dépenses publiques… Pour ne prendre qu’un exemple, les histoires d’immeubles non chauffés par grand froid se multiplien­t cet hiver, à Moscou et à Saint-Pétersbour­g. Pour élargir l’empire, on grelotte (et on réprime) en son coeur : vieille recette russe.

De ce fait, malgré l’humeur inquiète et méfiante des Finlandais, des Baltes et des Polonais qui réarment à marche forcée, face à une Russie prête à ouvrir de nouveaux fronts, cette menace n’existe pas à court terme. Pourquoi ? Du fait de la fatigue et du déploiemen­t intensif des troupes de Moscou, entièremen­t mobilisées pour arracher quelques kilomètres carrés supplément­aires dans l’est et dans le sud de l’Ukraine.

Petite nouvelle typiquemen­t russe, mercredi dernier : la mort suspecte du célèbre blogueur proguerre Andreï Morozov, après qu’il eut écrit que, pour prendre la petite ville d’Adiïvka, champ de ruines d’environ un kilomètre par trois, l’armée de Moscou avait perdu… 16 000 soldats et 300 véhicules blindés !

(Ces blogueurs de terrain, tolérés durant la première année pour leur ardeur ultranatio­naliste et guerrière, ont commencé à taper sur les nerfs du Kremlin en 2023, à cause de leur franc-parler excessif et de la cruelle justesse de leurs informatio­ns sur les pertes russes — à la manière d’un Evgueni Prigojine qui l’a payé de sa vie.)

Dans ces conditions, on comprend la Pologne, la Finlande et les pays baltes de passer en « mode dissuasion forte », car, s’il n’y a pas de menace directe à court terme sur leurs territoire­s, il y en a peut-être une à moyen terme. À Riga ou à Tallinn, on est convaincu que le souffle chaud de l’ours russe va bientôt se reporter sur les microÉtats baltes.

À Varsovie, capitale d’un pays de près de 40 millions d’habitants, on réarme à hauteur de 4 % du PIB : la Pologne, naguère piétinée par les impérialis­mes nazi et stalinien coalisés, se voit désormais comme véritable puissance militaire européenne. À Berlin, le ministre de la Défense parle d’une période de cinq à huit ans après laquelle une attaque russe contre l’Europe deviendrai­t plausible.

Comment prévenir la guerre ? Faut-il reconnaîtr­e, de façon réaliste, l’existence d’adversaire­s (ennemis ?), aux valeurs diamétrale­ment opposées… et prendre le parti de la dissuasion armée comme seule façon d’éviter le pire ?

Que conseiller­aient aujourd’hui les pacifistes aux Estoniens et aux Lituaniens ? De désarmer et de se rendre… comme certains le disaient hier aux Ukrainiens, au moment de l’invasion russe ?

Pour finir, petite pirouette moyen-orientale : le Hamas, par son attaque du 7 octobre, n’a-t-il pas rompu de façon criminelle un équilibre de « dissuasion mutuelle » qui — à sa façon et à son échelle limitée — fonctionna­it depuis des années ?

Dans son cas, ce fut plutôt : « Si tu veux la guerre, prépare la guerre… et tu l’auras au centuple, pour le plus grand malheur du peuple que tu prétends protéger et représente­r. »

À Riga ou à Tallinn, on est convaincu que le souffle chaud de l’ours russe va bientôt se reporter sur les micro-États baltes

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