Le Devoir

Juste pour rire en sérieuses difficulté­s

L’entreprise, qui a connu son lot de tempêtes dans les dernières années, pourrait être bientôt amenée à faire des choix épineux

- ÉTIENNE PARÉ

Juste pour rire connaît d’importants problèmes financiers, a appris Le Devoir. Le géant de l’humour au Québec a procédé en décembre à une première vague de compressio­ns, qui a été suivie par le départ de son principal dirigeant. D’autres décisions difficiles pourraient être annoncées dans les prochains jours.

La direction de l’entreprise dit ne pas être en mesure de faire des commentair­es pour le moment, car la situation évolue encore, ce qui laisse présager d’autres annonces importante­s. On confirme toutefois le licencieme­nt, juste avant Noël, « d’au moins » une dizaine d’employés, sans préciser dans quels secteurs ceux-ci étaient affectés.

Le président-directeur général du Groupe Juste pour rire, Charles Décarie, avait également quitté son poste au retour des Fêtes. Cet ancien dirigeant du Cirque du Soleil avait pris les rênes de l’entreprise en 2019, un an et demi après le départ dans la disgrâce du fondateur Gilbert Rozon, visé par des allégation­s d’inconduite­s sexuelles.

La chute du magnat de l’humour a un temps compromis la survie de la compagnie, en plus de durablemen­t plomber son image de marque. Selon nos informatio­ns, de potentiels partenaire­s se montreraie­nt même encore hésitants aujourd’hui à s’associer avec le festival. La recherche de commandite­s s’avérerait parfois un casse-tête, ce qui peut contribuer à la situation précaire dans laquelle se trouve ce fleuron québécois.

Transition complexe

L’après-Rozon n’aura pas non plus été un long fleuve tranquille. Les proches de l’homme d’affaires, dont ses soeurs, ont été écartés de la haute direction lors du rachat du groupe. Les nouveaux propriétai­res ont insufflé une nouvelle culture d’entreprise, ce qui a déstabilis­é certains employés de longue date.

« On peut dire ce que l’on veut de Gilbert Rozon, mais c’était un créatif, ce qui n’est pas le cas des nouveaux propriétai­res, qui sont seulement orientés sur les profits. À l’interne, ça a été

un gros changement de mentalité », résume un ancien employé, qui a préféré garder l’anonymat.

Le Groupe Juste pour rire est aujourd’hui détenu à 49 % par la Creative Artists Agency (CAA), ancienneme­nt ICM Partners, l’une des principale­s agences d’artistes à Hollywood. Bell Média et le Groupe CH, qui gère pratiqueme­nt tous les grands festivals à Montréal, se partagent 51 % des parts.

Les intérêts canadiens demeurent ainsi majoritair­es dans l’entreprise, ce qui lui permet d’être admissible aux différente­s aides gouverneme­ntales. La présence d’un actionnair­e américain de taille s’est tout de même fait sentir au sein de l’organisati­on, ont indiqué d’anciens employés au Devoir. Certains d’entre eux partagent l’impression que Juste pour rire a été délaissé dans les dernières années au profit de son pendant anglophone, Just for Laughs.

« Le marché francophon­e, pour eux, c’est trop petit. Ce n’est pas exportable. Il n’y a pas assez d’argent à faire », évoque un acteur d’importance dans le milieu de l’humour au Québec.

Fin des galas

L’an dernier, Juste pour rire avait surpris en annonçant la fin des galas, la formule qui a pourtant fait la renommée de son festival, devenu le plus gros événement d’humour à l’échelle du monde, si on inclut Just for Laughs. Officielle­ment, les promoteurs disaient que la formule s’était épuisée. Mais plusieurs doutent que ce soit la seule raison à l’origine de cette décision. D’autant plus que les autres festivals d’humour, comme ComediHa ! à Québec, continuent de miser sur des galas télévisés.

Si la marque Juste pour rire demeure très associée au festival du même nom, qui a lieu chaque année à Montréal depuis 1983, ses activités sont aujourd’hui étendues à toute l’industrie du divertisse­ment, en français comme en anglais. Le Groupe Juste pour rire produit des émissions de télévision, comme Les gags, mais aussi des spectacles, comme ceux d’Ève Côté, de Louis T ou encore de Jean-Sébastien Girard. À cela s’ajoute le Zoofest, un événement consacré à l’humour émergent qui se tient à la fin juillet, en parallèle au grand festival au Quartier des spectacles.

Longtemps, Juste pour rire a été en plus une compagnie de gérance. Mais ce n’est plus le cas depuis septembre dernier. Plusieurs humoristes de renom qui étaient représenté­s par Juste pour rire avaient quitté le navire après l’affaire Rozon.

Crise de l’événementi­el

La pandémie, et la poussée inflationn­iste qui s’est ensuivie, a également frappé de plein fouet Juste pour rire, à l’instar de tous les grands acteurs de l’événementi­el. « Je ne commentera­i pas directemen­t le cas de Juste pour rire avant qu’il y ait une annonce. Mais ce que je peux dire, c’est que le secteur de l’événementi­el ne va pas bien », dit Martin Roy, le présidentd­irecteur général du Regroupeme­nt des événements majeurs internatio­naux (REMI).

Le REMI presse le gouverneme­nt fédéral et la Ville de Montréal de bonifier leur soutien financier aux principaux festivals. À défaut de quoi les mauvaises nouvelles pourraient se succéder. « Avec l’inflation, les coûts ont parfois augmenté de 30 % à 35 %. Mais les commandita­ires et les subvention­s n’ont pas suivi la même courbe. Ça oblige les festivals à faire des choix douloureux, comme supprimer des scènes ou réduire les heures d’ouverture », déplore Martin Roy.

Le marché francophon­e, pour eux, c’est trop petit. Ce n’est » pas exportable. Il n’y a pas assez d’argent à faire.

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