Le Devoir

De Charest à Legault

- MICHEL DAVID

Vu le triste état dans lequel se trouve leur parti et la possibilit­é que Denis Coderre s’en empare, on peut comprendre les libéraux d’avoir la nostalgie des années Charest, malgré les mauvais souvenirs que d’autres en ont gardés. De là à conseiller au premier ministre François Legault de s’en inspirer dans ses relations avec Ottawa, comme l’a fait Marc Tanguay, il y a cependant une marge. La mémoire du chef intérimair­e du Parti libéral du Québec (PLQ) est quelque peu sélective.

Il est vrai que Jean Charest avait commencé son mandat avec un beau succès. L’entente sur le financemen­t des services de santé signée en 2004 avec le gouverneme­nt de Paul Martin prévoyait une hausse de la contributi­on fédérale de 6 % par année et exemptait le Québec de toute condition.

M. Tanguay présente le Conseil de la fédération, créé à l’initiative du Québec, comme un grand fait d’armes du gouverneme­nt Charest, mais sa « diplomatie canadienne » n’a en rien modifié le rapport de force du Québec face à Ottawa. Dès qu’il en a eu l’occasion, Stephen Harper a ramené la croissance du Transfert canadien en santé à 3 %.

Soit, le gouverneme­nt Legault s’est fait envoyer paître par Justin Trudeau, qui a accordé aux provinces à peine le sixième de ce qu’elles réclamaien­t, mais celui de Philippe Couillard, encore plus inconditio­nnellement fédéralist­e que son prédécesse­ur, n’avait pas fait mieux. Depuis 2004, le front commun des provinces que le Conseil de la fédération devait consolider a toujours fini par s’effondrer.

En toute justice, le gouverneme­nt Charest a connu d’autres succès, comme l’assurance parentale ou l’harmonisat­ion de la TPS et de la TVQ, tout comme celui de M. Legault a réussi à étendre la loi 101 aux entreprise­s relevant de la compétence fédérale.

Cela n’a pas empêché MM. Charest et Harper d’être à couteaux tirés pendant tout le temps où ils ont été au pouvoir, même si M. Harper avait une vision du fédéralism­e plus respectueu­se du partage des pouvoirs prévu par la Constituti­on que celle de M. Trudeau.

Au fil des ans, ils se sont chicanés sur à peu près tous les sujets imaginable­s : le déséquilib­re fiscal, l’environnem­ent, le registre des armes à feu, les jeunes contrevena­nts, les compressio­ns en culture…

Quand les circonstan­ces les forçaient à paraître ensemble en public, que ce soit au pays ou à l’étranger, ils étaient comme chien et chat. On a pu mesurer la rancoeur de M. Harper quand M. Charest a voulu devenir chef du Parti conservate­ur. Il aurait fallu qu’il lui passe sur le corps.

Au bout du compte, les relations entre Québec et Ottawa ne sont sans doute ni plus ni moins harmonieus­es aujourd’hui qu’elles l’étaient à l’époque. Le gouverneme­nt Charest n’a pas eu plus de succès que celui de M. Legault dans sa tentative d’encadrer le pouvoir de dépenser d’Ottawa, sauf que M. Harper était nettement moins dépensier que M. Trudeau, à qui la notion de déficit est totalement étrangère.

Marc Tanguay a pourtant raison sur un point : peu importe ce que Jean Charest pouvait dire ou faire pour défendre ce qu’il croyait être l’intérêt du Québec, personne ne doutait de la sincérité de son attachemen­t au Canada, alors que le passé souveraini­ste de François Legault le rendra toujours suspect aux yeux de certains. Qui a bu boira, dit le proverbe.

Quand Paul St-Pierre Plamondon lui reproche de ne pas forcer le jeu pour obtenir plus de pouvoirs en matière d’immigratio­n, par exemple en tenant un référendum sur la question, M. Legault réplique que le seul objectif du Parti québécois (PQ) est de prouver l’incapacité du fédéralism­e à satisfaire les besoins du Québec, mais il pourrait lui-même prêter flanc à cette accusation, même si ce n’était pas son intention.

Qui plus est, voilà que les électeurs caquistes sont devenus des partisans de Justin Trudeau, selon un récent sondage Léger. Il y en a 42 % qui voteraient pour le Parti libéral du Canada, 31 % pour le Bloc québécois et 20 % pour le Parti conservate­ur. Il y a deux ans, les chiffres étaient de 31 %, 45 % et 12 %.

On savait déjà que la majorité des caquistes voteraient Non à un référendum. De là à appuyer un parti qui s’est toujours employé à effacer la différence québécoise, il y a un pas qu’on ne croyait pas voir la Coalition avenir Québec (CAQ) franchir. La vision trudeauist­e du Canada est totalement incompatib­le avec le projet autonomist­e qu’elle prétend défendre.

Ce renverseme­nt, qui s’explique par le retour au bercail des électeurs du PQ qui étaient passés à la CAQ, rend impératif d’empêcher ceux qui ont déserté le PLQ de revenir eux aussi à leurs anciennes amours, et la chicane avec le gouverneme­nt fédéral n’est pas le meilleur moyen d’y parvenir.

À Ottawa aussi, on lit les sondages. Chacun sait que les cocoricos sont une figure imposée pour tout premier ministre du Québec, mais les électeurs caquistes se chargeront bien de calmer des ardeurs de M. Legault.

Le gouverneme­nt Charest n’a pas eu plus de succès que celui de M. Legault dans sa tentative d’encadrer le pouvoir de dépenser d’Ottawa, sauf que M. Harper était nettement moins dépensier que M. Trudeau, à qui la notion de déficit est totalement étrangère

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