Le Devoir

La mort annoncée du civisme

- Robert Maltais L’auteur est éthicien et journalist­e retraité. Il habite à L’Islet-sur-Mer.

Depuis l’arrivée de l’ère numérique dans nos vies, nous faisons face à l’extinction progressiv­e du civisme, au point que les incivilité­s sont devenues la norme sur les réseaux sociaux.

Impolitess­es, insultes, menaces, la plupart du temps anonymes, sont monnaie courante de nos jours, sur le Web ; un véritable contexte de violence et de diarrhée verbales.

Il faut dire qu’une même vague d’incivilité­s touche le monde politique et les relations avec les citoyens.

La qualité des rapports humains en a pris pour son rhume depuis l’invention d’Internet, cette prétendue autoroute de l’informatio­n, dont une large part du contenu s’apparente davantage finalement à de la désinforma­tion plutôt qu’à de l’informatio­n crédible et vérifiable.

Sous le couvert de l’anonymat

L’apparition d’Internet dans les années 1980-1990 a été saluée comme une innovation quasi prodigieus­e dans le domaine des technologi­es de l’informatio­n. Du coup, les communicat­ions entre humains s’accéléraie­nt et se mondialisa­ient. Il devenait désormais possible de communique­r rapidement partout sur la planète. Joie sans pareille, pouvait-on s’exclamer !

Mais cette joie serait éphémère, car cette innovation technologi­que s’avérait porteuse d’un sérieux revers, soit l’anonymat de nos correspond­ants. N’importe qui pouvait désormais cacher son identité sur les réseaux sociaux, ouvrant ainsi la porte aux mensonges, à la petitesse, à l’escroqueri­e, aux prédateurs — une odeur nauséabond­e de lâcheté.

Quel bel outil de communicat­ion l’humanité avait-elle inventé en créant Internet ! Pour favoriser l’émergence de relations humaines harmonieus­es, on aurait certes pu faire mieux ; elles se sont au contraire détériorée­s en entrant dans l’univers du toutnuméri­que.

Qui dit civisme dit civilisati­on

L’ex-président américain — et actuel meneur dans la présente course à l’investitur­e républicai­ne — Donald Trump est à lui seul la parfaite illustrati­on de l’incivilité et de l’absence totale d’éthique chez un politicien. Voilà un homme qui ment comme il respire, qui insulte sans vergogne ses adversaire­s politiques ou tous ceux ou celles qui osent diverger d’opinion avec lui.

Plus près de nous, au Québec, la classe politique fait heureuseme­nt — et généraleme­nt — preuve d’un plus grand sens éthique. Il lui arrive de faire face à la déferlante des réseaux sociaux, comme ce fut tout récemment le cas pour la mairesse de Gatineau, France Bélisle, qui en a fait l’une des principale­s causes de sa démission, affirme-t-elle. Et

Mme Bélisle est loin d’être la seule élue municipale à être tombée au champ d’honneur. Elles — et ils — sont, semble-t-il, légion. Depuis les élections municipale­s de septembre 2021, près d’un élu sur dix a quitté son poste, selon Élections Québec.

D’un autre côté, le milieu politique n’est pas pour autant exempt d’incivilité­s, comme on peut le voir dans les débats à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des communes, des débats qui manquent souvent d’un minimum de hauteur.

Les fondements mêmes de la civilisati­on sont mis à mal quand le respect de l’autre est absent des débats publics, quand les débats sont aussi vivement polarisés.

L’emprise du numérique a favorisé la montée de l’individual­isme, au détriment de communauté­s humaines qui savent l’importance d’entretenir un sain dialogue pour favoriser leur épanouisse­ment collectif.

Le civisme n’est-il pas l’essence même de la civilisati­on ?

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