Justice pour les personnes souffrant d’Alzheimer
Le pouvoir politique résiste indûment à honorer la dignité et l’autonomie de ces personnes qui ont perdu leur liberté d’être
Les personnes souffrant d’Alzheimer ont un droit d’accès à l’aide médicale à mourir. Pourtant, ce droit leur est nié dans le projet de loi C-62 présentement devant le Sénat ; l’exercice de ce droit y est reporté hypothétiquement dans trois ans, soit au 17 mars 2027.
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement reporte l’exercice des droits qu’a reconnus la Cour suprême dans la décision Carter rendue en 2015. C’est un déni du droit à la dignité et à la sécurité de la personne contraire à l’article 7 de la Charte canadienne.
Aucun des arguments invoqués pour surseoir à la reconnaissance du droit des personnes souffrant d’Alzheimer au moyen d’une déclaration anticipée ne résiste à l’analyse des critères définis par la Cour, il y a bientôt neuf ans.
C’est une situation inhumaine intolérable qu’il est impératif de corriger maintenant. Et il y a un moyen rapide et efficace pour obtenir justice, soit que le gouvernement du Québec fasse une référence immédiate à la Cour d’appel pour obtenir un jugement déclaratoire en faveur des personnes souffrant d’Alzheimer, comme Nicole Gladu et Jean Truchon l’ont obtenu de la Cour supérieure en septembre 2019 pour les personnes souffrant de maladie dégénérative physique.
À l’époque, le gouvernement canadien s’y opposait fermement. Il insistait alors sur le critère de « mort raisonnablement prévisible », que le Sénat avait pourtant refusé d’entériner en 2017 comme contraire au jugement Carter et en adoptant ensuite un amendement qui le retirait du projet de loi C-14. Mais le gouvernement Trudeau s’était obstiné à l’imposer. Il faut rappeler que le comité mixte des Communes et du Sénat avait insisté dès 2016 pour que le droit d’accès à l’aide médicale à mourir soit également accessible aux personnes souffrant de maladie mentale.
Le gouvernement à l’époque avait refusé cette recommandation, préférant limiter l’accès à l’aide médicale à mourir sous l’argument fallacieux que « la population n’était pas prête pour ce changement ».
Il était alors étonnant d’entendre le gouvernement Trudeau invoquer « le degré d’acceptabilité populaire de l’aide à mourir » pour refuser ce droit aux personnes dites vulnérables. Un droit de la Charte est un droit. Point. Une fois que la Cour suprême du pays s’est prononcée sur l’existence d’un droit et qu’elle a défini les quatre critères d’accès, il n’y a plus grand arguments qui tiennent, à moins qu’on veuille en inventer à gauche et à droite pour en fait nier le droit d’accès à l’aide médicale à mourir à certaines catégories de personnes.
Et c’est bien ce qui s’est passé en 2021 lorsque, pendant la pandémie alors que l’attention publique était ailleurs, le gouvernement a fait adopter le projet de loi C-7 pour donner suite à la décision Gladu-Truchon, mais en suspendant en même temps le droit d’accès pour les personnes souffrant de maladie mentale.
Il a préféré compter sur les peurs, les préjugés et la confusion dans l’opinion publique quant aux distinctions à faire entre d’une part les personnes atteintes de maladies mentales longues et incurables, et d’autre part celles qui peuvent souffrir de tendance suicidaire, pour reporter aujourd’hui, dans au moins trois ans, la considération du droit d’accès pour ces personnes éprouvant des souffrances intolérables.
Où en serons-nous en 2027, si un gouvernement Poilievre est aux commandes ? Le chef conservateur s’est déjà prononcé de façon catégorique : il utilisera son autorité pour refuser absolument de légiférer et de reconnaître ce droit.
Or, parmi les personnes souffrant de maladie mentale, celles atteintes d’Alzheimer ne présentent pas de difficulté de diagnostic particulier. Leur condition est constatée objectivement par les faiblesses cognitives de leur comportement et la perte irrémédiable de mémoire qui s’ensuit.
Ces personnes doivent se voir reconnaître immédiatement le droit d’accès au moment où leur autonomie de décision encore présente leur permet de requérir l’exercice de leur droit.
Consensus
Il existe un large consensus dans l’opinion professionnelle à ce sujet et un protocole clinique d’encadrement rigoureux peut rapidement être mis en place. Rajoutons que 85 % de l’opinion publique y est favorable, bien que ce ne soit pas un facteur déterminant. C’est vraiment la capacité des personnes à exprimer un consentement anticipé, consentement à renouveler avant la déchéance mémorielle définitive, qui représente en fait la condition essentielle.
Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, a demandé, il y a deux semaines, une exception au Code criminel pour les patients atteints d’Alzheimer au Québec. Son homologue fédéral a refusé. Le ministre Jolin-Barrette a pourtant la chance de faire mieux, soit éviter d’obliger un ou une malade souffrant d’Alzheimer à se « traîner », à ses frais, devant les tribunaux comme Mme Gladu et M. Truchon ont dû le faire, et de faire confirmer par la Cour d’appel que tous ces patients, où qu’ils ou qu’elles soient au Canada ont ce droit dès maintenant.
Il lui suffit de soumettre la question à la Cour d’appel pour obtenir un jugement déclaratoire qui reconnaît que les personnes souffrant d’Alzheimer jouissent de ce droit à l’intérieur du cadre et selon les critères cliniques des professionnels de la santé qui garantissent la protection de ces patients.
Justice pour les personnes souffrant d’Alzheimer. Neuf ans après Carter, décision de 2015, le tribunal comprendra que ce délai est d’une insouciance cruelle. Il est temps de cesser d’être « inhumain au quotidien » : les tribunaux comprendront que le pouvoir politique résiste indûment à honorer la dignité et l’autonomie de ces personnes qui ont perdu leur liberté d’être. Les cours demeurent le dernier recours pour que justice soit faite, c’est pourquoi les citoyens ont confiance en leur impartialité et en leur responsabilité de gardiennes de nos droits.