Shōgun, une plongée passionnante dans le Japon féodal
Les créateurs de la nouvelle série de Disney+ se confient sur les défis d’une adaptation et d’un tournage à grand déploiement
En 1600, le navire hollandais L’Érasme s’échoue dans un village de pêcheurs, dans un Japon à l’aube d’une guerre civile qui marquera le siècle. Lord Yoshii Toranaga, un seigneur rusé et puissant, voit son existence et son pouvoir menacés par ses rivaux politiques. Or, le capitaine anglais de L’Érasme, John Blackthorne, détient des secrets qui pourraient aider Toranaga à renverser la situation et contribuer à détruire au passage ses propres ennemis : les marchands et les missionnaires jésuites portugais.
Entre les deux hommes, Toda Mariko, une noble chrétienne, dernière d’une lignée en disgrâce, assure la traduction et la bonne entente. Dans ce paysage politique tendu, les trois comparses devront s’ouvrir et apprendre les uns des autres pour mieux respecter leurs engagements, leur foi et leurs promesses, et ainsi réaliser leur destinée.
Adaptée du roman éponyme de James Clavell, la série Shōgun met au goût du jour une histoire maintes fois racontée : celle d’un héros sombre et mystérieux qui, arrivé dans une contrée étrangère, tombe amoureux d’une culture, d’une femme aussi, généralement, avant d’atteindre le potentiel de gloire qui sommeillait en lui.
Les deux créateurs de la série, les scénaristes et producteurs Justin Marks et Rachel Kondo, n’avaient jamais lu le roman avant d’être approchés pour le projet. « Nous étions familiers avec la silhouette, la base du récit, ainsi qu’avec la couverture du livre, qui représentait un homme qui me ressemble beaucoup, à moi, un Américain blanc, et qui porte des vêtements qui sont étrangers à sa culture, ceux d’un samouraï », indique l’homme du duo, rencontré en visioconférence par Le Devoir.
« Nous nous sommes d’abord demandé si nous avions quoi que ce soit de nouveau à dire sur cette histoire. En y plongeant plus en profondeur, on a découvert un conte merveilleux et moderne, qui nous montre ce que c’est que d’aller à la rencontre d’autres cultures, et à la rencontre de soi-même dans ces cultures. On a eu envie de le raconter, avec les technologies et le système de valeurs qui nous sont accessibles aujourd’hui. »
Loin des clichés
Le résultat a de quoi séduire. La mise en scène ambitieuse et à grand déploiement multiplie les paysages somptueux, les batailles mémorables et les complots palpitants, sans négliger l’aspect sentimental et les conflits intérieurs. Les personnages, à la fois mystérieux et complexes, voient constamment leurs préjugés voler en éclats, et découvrent, au contact les uns des autres, des richesses et des avenues insoupçonnées.
« Le livre soulève des questions urgentes et intemporelles qu’il est de notre devoir de se poser, collectivement. Comment nous regardons-nous les uns les autres, spécialement ceux qui sont différents de nous ? Comment apprendre de ces différences, les étudier, les célébrer, les discuter ? On a voulu poursuivre cette conversation dans la série », souligne Rachel Kondo.
De fait, Shōgun s’éloigne de la caricature en parvenant à célébrer la culture japonaise sans prendre le raccourci de l’exotisme, et n’hésite pas à mettre de côté un idéal colonial manquant cruellement de respect et d’humilité.
Un long processus de traduction
Pour donner vie à leur vision, les deux producteurs ont d’abord dû entreprendre la grande aventure de la traduction. Comme l’action se tient au pays du soleil levant, plus de la moitié des dialogues devaient être rédigés en japonais. « Nous avons travaillé avec des historiens japonais afin de rester fidèles à l’époque représentée. Ils nous ont aidés à ajouter des nuances culturelles, et ils nous ont offert des commentaires honnêtes et candides sur ce qui fonctionnait ou ne fonctionnait pas dans une perspective japonaise », indique Justin Marks.
Les créateurs ont ensuite soumis le scénario à un dramaturge ayant beaucoup écrit sur le Japon du XVIIe siècle, afin qu’il le polisse et le rende le plus digeste et naturel possible pour les acteurs. Ce dernier s’est également déplacé sur le plateau pour effectuer les adaptations nécessaires au moment du tournage.
Cet intense processus s’est poursuivi en postproduction. « Les comédiens se sont approprié le texte et ont joué les dialogues en y ajoutant leur touche personnelle. Nous avons donc mis en place tout un système. Tout ce qui était dit nous était traduit intégralement, pour qu’on puisse le comparer à ce qui était écrit. Puis, nous avons déterminé un juste milieu flexible afin que les soustitres, ce que l’auditoire lit, soient aussi près que possible de l’expérience de la performance », soutient Rachel Kondo.
Le tournage, qui devait avoir lieu en grande partie au Japon, a finalement dû être déplacé en Colombie-Britannique, à cause des restrictions sanitaires liées à la pandémie de COVID-19. « Nous étions déçus, au départ, de ne pas pouvoir respecter notre plan initial. Mais nous avons trouvé à Vancouver des paysages sublimes et intacts très semblables à ce que nous avions en tête », souligne Justin Marks.
Plusieurs des acteurs ont quitté pour la première fois leur Japon d’origine pour faire partie de l’aventure de Shōgun. « Il y avait cette énergie de découverte, d’émerveillement, de plaisir perpétuel de la jeunesse sur le plateau. »
Le rôle principal, celui du capitaine John Blackthorne, a été confié au Britannique Cosmo Jarvis, aperçu notamment dans la série à succès Peaky Blinders. Avec son regard hypnotique et son allure de dur à cuire, il ne semble pas, a priori, correspondre à l’idée que l’on se fait de la noblesse et du calme d’un samouraï. « Lorsqu’on l’a vu en audition, on ne pouvait détacher nos yeux de lui. Pourtant, il n’avait pas le profil qu’on recherchait, poursuit le producteur. Après trois jours de réflexion, je n’arrivais pas à me le sortir de la tête. En moins de trois heures, les autres décideurs avaient visionné son essai et étaient unanimes. Il ne correspondait pas au rôle que nous avions écrit, mais il l’a pris et l’a amené dans une direction différente, imprévisible, mais meilleure en tout point. »