Le Devoir

Hommage à Robert Badinter

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Tous les jours depuis presque 14 ans, lorsque j’emprunte l’escalier me donnant accès à mon bureau, je vois l’une des deux potences auxquelles pendant plus de 50 ans on a pendu les personnes, hommes et femmes, reconnues coupables et condamnées à la peine de mort.

Cette potence, maintenant bien scellée, a été conservée à l’Établissem­ent de détention de Montréal grâce à l’effort soutenu de mon prédécesse­ur qui voulait que l’on se souvienne qu’il n’y a pas si longtemps, au Canada, on tuait au nom de la justice.

La peine de mort, on le sait, est encore appliquée dans trop de pays et même dans certains États voisins.

Mais avec le décès, le 9 février dernier, de Robert Badinter, ministre de la Justice sous François Mitterrand, voilà que nous est rappelé tout un argumentai­re pour l’abolition de la peine de mort, dont il a été le héros en France.

Avocat et professeur de droit, il fait sien ce combat non seulement contre la peine de mort, mais aussi pour son abolition, lorsque l’un de ses clients, Roger Bontems, est malgré toute sa plaidoirie exécuté le 28 novembre 1972.

Réussissan­t par la suite à sauver sept vies en leur épargnant la peine de mort, Roger Badinter, devenu ministre de la Justice le 23 juin 1981, présente moins de trois mois après à l’Assemblée nationale, soit le 17 septembre, le projet de loi abolissant la peine de mort, y prononçant un discours d’une humanité exceptionn­elle.

Son argumentai­re ? Nous ne pouvons être favorables à une justice qui tue. Les pays où l’on exerce encore la peine de mort sont très souvent, pour ne pas dire tous, des pays où la liberté est compromise. On ne diminue pas la criminalit­é sanglante avec la peine de mort. Enlever la vie à une personne parce qu’elle est coupable, c’est lui enlever la possibilit­é de devenir meilleure.

Croire que l’autre peut s’améliorer et devenir meilleur, voilà ce qui me touche le plus, moi qui suis aumônier de prison, mais aussi citoyen d’un monde où l’on semble de moins en moins croire en l’humanité.

Car là est le dilemme que nous propose Roger Badinter. Croit-on encore assez à l’être humain non seulement pour ne pas lui enlever la vie, mais également pour lui dire et lui donner la possibilit­é de devenir meilleur ?

Car là est la foi sacrée réellement capable de nous sauver. Là est cette foi dont je témoigne auprès des hommes pour qui je suis l’aumônier. Tel est mon credo : je crois en eux, je crois qu’ils peuvent devenir meilleurs. Et si, parfois, le doute peut me surprendre, Robert Badinter m’aide à aider la vie à devenir meilleure et à dénoncer la vengeance qui voudrait une justice qui tue.

Hommage à vous, Monsieur Badinter, et merci pour tout ce que vous avez pu donner à la France et au monde, à la justice et à l’humain dans l’homme. Stéphane Roy

Le 25 février 2024

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