La culture commune oubliée, réflexions sur notre identité délavée
En valorisant constamment la différence, nous oublions de souligner les points communs de notre culture propre
Dans une chronique intitulée « Identité anti-québécoise », parue sous la plume de Jean-François Lisée dans Le Devoir du 24 février dernier, on évoque le mépris des « Kebs » dans les écoles montréalaises. La veille, nous avions justement une discussion qui tournait autour du même sujet entre profs. En tant qu’enseignante au collégial dans un cégep montréalais, j’entends aussi parfois ce genre de commentaires. Je remarque une dévalorisation grandissante de la culture québécoise, et parfois même son dénigrement dans mes cours, ainsi que l’autodénigrement de certains étudiants québécois d’origine canadienne-française face à leur propre culture d’origine.
Toutefois, je remarque aussi que quand nous parlons favorablement de notre culture et de nos artistes, nos élèves changent leur perception et en développent une vision positive.
La fomentation des tensions identitaires
Ce que j’ai pu constater dans le milieu collégial où j’évolue est que notre grande volonté d’ouverture à la diversité nous amène à la valoriser dans nos enseignements et dans nos activités socioculturelles, ce qui est évidemment souhaitable. Toutefois, en valorisant constamment la différence, nous oublions trop souvent de souligner les points communs et de créer de l’unité entre nos élèves. Cela a pour effet d’attiser les tensions identitaires et de favoriser la réunion des étudiants par groupes culturels distincts (et parfois opposés entre eux) face aux « Kebs », alors perçus comme un groupe ethnoculturel parmi d’autres et pouvant lui aussi être victime de stigmatisation, car minoritaire dans nos classes.
À ce titre, il est bon de se rappeler la définition de l’interculturalisme du sociologue Gérard Bouchard, qui vise à « encourager la formation d’une culture commune à partir et au-delà de la diversité ethnoculturelle ». Par gêne, par pudeur ou par simple réflexe, nous négligeons de promouvoir la culture commune et parfois même la langue française. Notre faiblesse, ici, m’apparaît donc être notre difficulté à nous affirmer, du moins dans les milieux que je fréquente : les cégeps et l’école primaire de mes enfants. Est-ce là le fardeau de notre statut de culture minoritaire qui rend si difficile la promotion de notre culture propre ? C’est possible.
Cela dit, cela donne lieu à toutes sortes de situations incongrues. Par exemple, il arrive que nos milieux organisent des activités interculturelles, où une ou des dizaines de cultures sont représentées, tout en omettant d’y inclure la culture québécoise… Voilà un réflexe de surouverture qui ne passe pas inaperçu auprès de nos élèves d’origine canadienne-française, comme me l’a récemment signalé une étudiante avec beaucoup de ressentiment. Avons-nous perdu l’équilibre ? Toujours selon Gérard Bouchard, l’interculturalisme devrait être axé sur la recherche d’équilibre, et préconiser une gestion de la diversité qui est respectueuse des valeurs fondamentales de la société. Nous nous retenons pourtant, en tant qu’institutions et enseignants, à mettre les valeurs reliées à notre histoire et à la culture québécoise en évidence. À titre d’exemple, à l’école primaire de mes enfants, les fêtes du calendrier sont soulignées par l’organisation d’activités, tout comme à mon cégep. Toutefois, année après année, rien n’est fait pour souligner la Journée nationale des patriotes, si bien que ni mes enfants ni mes élèves du collégial ne semblent en avoir entendu parler.
Mosaïque des cultures au rancart
Les spécialistes du vivre-ensemble semblent être arrivés à un consensus pour mettre de côté la clivante mosaïque des identités et des cultures dans nos milieux scolaires et se concentrer sur la création d’un « nous collectif ». Toutefois, les milieux scolaires ne sont pas tous au fait de ces approches plus harmonieuses de gestion de la diversité, et le ministère de l’Éducation aurait avantage à leur fournir des outils plus détaillés.
On oublie que le fait de prendre en compte la nécessaire affirmation culturelle d’une identité québécoise, le respect de son histoire et de ses valeurs fondamentales sont pourtant une prémisse aux échanges, à l’ouverture à l’autre, au métissage et à la création d’une culture commune et d’une société inclusive.
Devant ce problème culturel de fond, nos institutions scolaires auraient avantage à se mobiliser afin de travailler à créer un sentiment d’appartenance commun, à revaloriser la culture québécoise, sa richesse, ses fondements et ses valeurs démocratiques et humanistes auprès des jeunes. Il faut reprendre confiance et faire la promotion d’une culture québécoise francophone moderne et inclusive. Il faut mettre nos jeunes en contact avec cette culture, afin qu’ils puissent y contribuer dans le respect de ce qu’ils sont, avec leur bagage culturel propre et qu’ils puissent s’y impliquer, s’y métisser et y participer pleinement, car ils ont beaucoup à y apporter.
Il faut leur permettre, par exemple, d’assister à des spectacles, de découvrir les sports d’hiver et l’histoire du Québec et les encourager à s’exprimer sur ces sujets. En leur présentant des pans de notre culture, elle devient aussi la leur et ils contribuent à la façonner. Et on finit par voir poindre une lueur dans leurs yeux comme dans les nôtres en tant que société, car tous au fond ne rêvent que d’une chose, universelle : être inclus.