Le Devoir

L’applicatio­n de la nouvelle loi sur la DPJ inégale sur le terrain

Les modificati­ons à la loi ne sont pas encore pleinement ancrées dans la réalité

- JESSICA NADEAU

Près de deux ans après l’adoption de nouvelles dispositio­ns dans la Loi sur la protection de la jeunesse qui prévoient une meilleure transition vers la vie adulte, l’applicatio­n de celle-ci se fait à géométrie variable, constatent les organismes qui travaillen­t avec les jeunes sur le terrain.

« Est-ce que la Loi a eu un effet ? Peut-être pour certaines personnes, mais nous, on ne le voit pas. Pas encore », affirme Marie-Noëlle L’Espérance, directrice du centre de jour Dans la rue, qui accueille des jeunes en situation d’itinérance à Montréal. Elle reconnaît que la volonté est là et qu’il y a plusieurs initiative­s intéressan­tes qui ont vu le jour, mais elle constate qu’il y a toujours autant de jeunes dans son organisme qui sont passés par les centres jeunesse.

Et bien que la Loi oblige désormais la DPJ à « prendre des mesures pour faciliter le passage à la vie adulte des jeunes de moins de 26 ans », ceux-ci n’ont pas toujours envie de s’en prévaloir, observe Mme L’Espérance.

« Le centre jeunesse est tellement un milieu de vie restrictif ; [quand ils sortent], les jeunes ont une urgence de vivre. Alors, lorsqu’on leur propose un cadre avec un accompagne­ment, [certains jeunes] vont le rejeter, particuliè­rement les jeunes qui ont eu un parcours plus difficile. »

Au Refuge des jeunes, qui vient en aide aux jeunes hommes en situation d’itinérance, on ne voit pas, là non plus, de différence significat­ive pour l’instant. « À vol d’oiseau, il y a peutêtre une légère baisse », observe la directrice générale, France Labelle, qui répète néanmoins que « l’accompagne­ment prolongé au sortir des centres jeunesse est porteur afin d’éviter l’entrée directe dans l’itinérance ».

Dans les ressources communauta­ires d’hébergemen­t transitoir­e, qui accueillen­t plusieurs jeunes à leur sortie des centres jeunesse, l’effet des changement­s à la Loi se fait beaucoup plus ressentir.

« Il y a une grande différence depuis un an, un an et demi. Les jeunes préparent beaucoup mieux leur départ », explique Sébastien Lanouette, directeur de l’auberge du coeur Ressources Jeunesse de Saint-Laurent. « Avant, ce qu’on voyait souvent, c’est que les jeunes sortaient de la DPJ sans plan. Ils ne connaissai­ent même pas les programmes qui existaient et se retrouvaie­nt à la rue, puis ils finissaien­t par nous revenir. »

D’autres préparaien­t leur départ la veille. « Ils nous appelaient en catastroph­e en nous disant : “Je dois partir de mon centre jeunesse demain.” Et si on n’avait pas de place à ce moment précis, le jeune ne savait pas quoi faire et s’en allait dans la rue, ce qui est une absurdité. Maintenant, on est vraiment plus capables de préparer leur séjour. »

Plusieurs jeunes vont même venir visiter la ressource avec leur intervenan­t pour se familiaris­er avec les lieux. « Ça a l’air niaiseux, mais c’est un énorme changement. »

Mais ils ont beau avoir un plan, il faut que les jeunes soient outillés pour se débrouille­r seuls dans la vie. « Ça, c’est l’élément sur lequel on ne voit pas d’améliorati­on », déplore M. Lanouette. « Les jeunes nous demandent d’aller aux toilettes, ils ne savent pas faire bouillir de l’eau pour se faire des pâtes, ils ne savent pas s’organiser dans la vie réelle. Ça, à mon avis, c’est un scandale énorme. »

Communicat­ions

La nouvelle loi permet également aux employés de la DPJ de partager certains renseignem­ents confidenti­els avec les intervenan­ts qui prennent le relais dans les ressources d’hébergemen­t transitoir­e.

« Ça nous donne un levier supplément­aire, explique Jean-Sébastien Renaud, directeur du centre d’hébergemen­t multiservi­ce de Mirabel. Ça nous permet d’avoir un portrait global du jeune, pour savoir d’où il part et où il est rendu. On ne part pas de zéro. »

Sauf qu’encore ici, M. Renaud constate que cette dispositio­n de la loi est appliquée à géométrie variable. « Depuis la dernière année, on voit des effets positifs, mais moins qu’on l’aurait pensé. Dans le sens qu’on a vraiment une meilleure collaborat­ion avec les différents intervenan­ts, mais pas avec tout le monde. Je ne sais pas si c’est le mémo qui n’a pas passé ou s’il y a des façons de faire plus difficiles à changer chez certains intervenan­ts. »

Un constat partagé par François Soucy, directeur de la Maison Richelieu à Québec, qui accueille de jeunes filles de 12 à 17 ans. « On se rend compte que sur papier, c’est beau, c’est écrit, mais sur le terrain, ce n’est pas encore acquis. »

La directrice nationale de la protection de la jeunesse, Catherine Lemay, reconnaît que les modificati­ons à la Loi concernant la transition à la vie adulte sont encore appliquées « à géométrie variable ». Elle assure toutefois que tout est en place pour qu’elle s’ancre dans la réalité du terrain, mais qu’il faut se donner du temps. (Voir encadré)

Le centre jeunesse est tellement un milieu de vie restrictif ; [quand ils sortent], les jeunes ont une urgence de vivre. Alors, lorsqu’on leur propose un cadre avec un accompagne­ment, [certains jeunes] vont le rejeter, particuliè­rement chez les jeunes qui ont eu un parcours plus difficile. MARIE-NOËLLE L’ESPÉRANCE

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