L’application de la nouvelle loi sur la DPJ inégale sur le terrain
Les modifications à la loi ne sont pas encore pleinement ancrées dans la réalité
Près de deux ans après l’adoption de nouvelles dispositions dans la Loi sur la protection de la jeunesse qui prévoient une meilleure transition vers la vie adulte, l’application de celle-ci se fait à géométrie variable, constatent les organismes qui travaillent avec les jeunes sur le terrain.
« Est-ce que la Loi a eu un effet ? Peut-être pour certaines personnes, mais nous, on ne le voit pas. Pas encore », affirme Marie-Noëlle L’Espérance, directrice du centre de jour Dans la rue, qui accueille des jeunes en situation d’itinérance à Montréal. Elle reconnaît que la volonté est là et qu’il y a plusieurs initiatives intéressantes qui ont vu le jour, mais elle constate qu’il y a toujours autant de jeunes dans son organisme qui sont passés par les centres jeunesse.
Et bien que la Loi oblige désormais la DPJ à « prendre des mesures pour faciliter le passage à la vie adulte des jeunes de moins de 26 ans », ceux-ci n’ont pas toujours envie de s’en prévaloir, observe Mme L’Espérance.
« Le centre jeunesse est tellement un milieu de vie restrictif ; [quand ils sortent], les jeunes ont une urgence de vivre. Alors, lorsqu’on leur propose un cadre avec un accompagnement, [certains jeunes] vont le rejeter, particulièrement les jeunes qui ont eu un parcours plus difficile. »
Au Refuge des jeunes, qui vient en aide aux jeunes hommes en situation d’itinérance, on ne voit pas, là non plus, de différence significative pour l’instant. « À vol d’oiseau, il y a peutêtre une légère baisse », observe la directrice générale, France Labelle, qui répète néanmoins que « l’accompagnement prolongé au sortir des centres jeunesse est porteur afin d’éviter l’entrée directe dans l’itinérance ».
Dans les ressources communautaires d’hébergement transitoire, qui accueillent plusieurs jeunes à leur sortie des centres jeunesse, l’effet des changements à la Loi se fait beaucoup plus ressentir.
« Il y a une grande différence depuis un an, un an et demi. Les jeunes préparent beaucoup mieux leur départ », explique Sébastien Lanouette, directeur de l’auberge du coeur Ressources Jeunesse de Saint-Laurent. « Avant, ce qu’on voyait souvent, c’est que les jeunes sortaient de la DPJ sans plan. Ils ne connaissaient même pas les programmes qui existaient et se retrouvaient à la rue, puis ils finissaient par nous revenir. »
D’autres préparaient leur départ la veille. « Ils nous appelaient en catastrophe en nous disant : “Je dois partir de mon centre jeunesse demain.” Et si on n’avait pas de place à ce moment précis, le jeune ne savait pas quoi faire et s’en allait dans la rue, ce qui est une absurdité. Maintenant, on est vraiment plus capables de préparer leur séjour. »
Plusieurs jeunes vont même venir visiter la ressource avec leur intervenant pour se familiariser avec les lieux. « Ça a l’air niaiseux, mais c’est un énorme changement. »
Mais ils ont beau avoir un plan, il faut que les jeunes soient outillés pour se débrouiller seuls dans la vie. « Ça, c’est l’élément sur lequel on ne voit pas d’amélioration », déplore M. Lanouette. « Les jeunes nous demandent d’aller aux toilettes, ils ne savent pas faire bouillir de l’eau pour se faire des pâtes, ils ne savent pas s’organiser dans la vie réelle. Ça, à mon avis, c’est un scandale énorme. »
Communications
La nouvelle loi permet également aux employés de la DPJ de partager certains renseignements confidentiels avec les intervenants qui prennent le relais dans les ressources d’hébergement transitoire.
« Ça nous donne un levier supplémentaire, explique Jean-Sébastien Renaud, directeur du centre d’hébergement multiservice de Mirabel. Ça nous permet d’avoir un portrait global du jeune, pour savoir d’où il part et où il est rendu. On ne part pas de zéro. »
Sauf qu’encore ici, M. Renaud constate que cette disposition de la loi est appliquée à géométrie variable. « Depuis la dernière année, on voit des effets positifs, mais moins qu’on l’aurait pensé. Dans le sens qu’on a vraiment une meilleure collaboration avec les différents intervenants, mais pas avec tout le monde. Je ne sais pas si c’est le mémo qui n’a pas passé ou s’il y a des façons de faire plus difficiles à changer chez certains intervenants. »
Un constat partagé par François Soucy, directeur de la Maison Richelieu à Québec, qui accueille de jeunes filles de 12 à 17 ans. « On se rend compte que sur papier, c’est beau, c’est écrit, mais sur le terrain, ce n’est pas encore acquis. »
La directrice nationale de la protection de la jeunesse, Catherine Lemay, reconnaît que les modifications à la Loi concernant la transition à la vie adulte sont encore appliquées « à géométrie variable ». Elle assure toutefois que tout est en place pour qu’elle s’ancre dans la réalité du terrain, mais qu’il faut se donner du temps. (Voir encadré)
Le centre jeunesse est tellement un milieu de vie restrictif ; [quand ils sortent], les jeunes ont une urgence de vivre. Alors, lorsqu’on leur propose un cadre avec un accompagnement, [certains jeunes] vont le rejeter, particulièrement chez les jeunes qui ont eu un parcours plus difficile. MARIE-NOËLLE L’ESPÉRANCE