Le Devoir

Insupporta­bles militants

- MICHEL DAVID

L’impayable ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, y est allé d’une nouvelle attaque contre les journalist­es « militants » qui entretienn­ent une « méfiance malsaine » envers le projet Northvolt. « Je peux vous assurer qu’il n’y a pas eu de grand complot pour avantager Northvolt », a-t-il déclaré mardi devant la Chambre de commerce de Québec, invitant

« ceux qui veulent inventer des histoires » à écrire des romans et « les jeunes rigoureux, curieux et impartiaux » — il aurait pu ajouter « dociles » —, à devenir journalist­es.

M. Fitzgibbon devra maintenant ajouter à sa liste d’ennemis publics les fonctionna­ires du ministère de l’Environnem­ent, qui dénoncent vertement — c’est le cas de le dire — la « commande politique » que leur ministère a accepté d’exécuter en donnant le feu vert à l’entreprise suédoise.

Ce « militant » impénitent qu’est le collègue Thomas Gerbet, de Radio-Canada, a obtenu copie de lettres sans équivoque que le coordinate­ur de l’équipe d’analyse et d’expertise du ministère pour la région du Bas-SaintLaure­nt, Ghislain Côté, a adressées à ses supérieurs et au ministre Benoit Charrette.

Selon lui, « le ministère a accepté de jouer le jeu de la politique et de mettre de côté, l’instant d’un dossier, sa mission ». Il n’accepte pas que les experts du ministère portent le chapeau pour ce passe-droit. « Si c’est une décision qui relève du ministre, assumez-la. La Loi sur la qualité de l’environnem­ent vous en donne le droit, mais ne faites pas porter de fardeau aux équipes qui oeuvrent, normalemen­t, en toute indépendan­ce. »

Thomas Gerbet a aussi obtenu l’enregistre­ment d’une réunion interne du ministère qui traduit bien le profond malaise qu’a créé toute cette opération. Alors que le sousminist­re adjoint aux autorisati­ons gouverneme­ntales et aux opérations, Daniel Labrecque, reconnaît que certains fonctionna­ires se posent des « questions légitimes », la sous-ministre Marie-Josée Lizotte parle d’une tempête médiatique « déplorable » et « injuste ».

L’expérience du troisième lien, qui a déclenché la dégringola­de de la CAQ, n’a manifestem­ent pas suffi à faire comprendre au gouverneme­nt que l’hypocrisie entourant un projet peut être plus dommageabl­e que le projet lui-même

La tempête n’est pas près de se calmer. La présidente de l’Associatio­n des biologiste­s du Québec, Marie-Christine Bellemare, a formulé de la façon la plus diplomatiq­ue possible la question que tout le monde se pose : « On se demande si tout est fait dans les règles de l’art. Est-ce qu’il y a eu de la pression ? Est-ce que les personnes qui sont intervenue­s ont eu de la marge de manoeuvre ? »

Les anomalies semblent si nombreuses que toute cette opération ressemble à un immense simulacre où toutes les règles ont été bafouées. Ghislain Côté a raison : plutôt que de raconter des histoires que personne ne peut croire, le gouverneme­nt aurait mieux fait d’assumer sa décision et d’expliquer que la venue de Northvolt lui apparaissa­it à ce point essentiell­e qu’elle justifiait une exemption.

Le sondage que la firme Léger a réalisé pour le compte de Northvolt indique que 72 % des résidents du secteur où l’usine sera implantée estiment qu’il s’agit d’un « bon projet », malgré les interrogat­ions qu’il soulève. Dans l’ensemble du Québec, un sondage Pallas Data commandité par un collectif de groupes environnem­entaux évalue l’appui à 53 %, mais la même proportion condamne l’attitude du gouverneme­nt.

L’expérience du troisième lien, qui a déclenché la dégringola­de de la CAQ, n’a manifestem­ent pas suffi à faire comprendre au gouverneme­nt que l’hypocrisie entourant un projet peut être plus dommageabl­e que le projet lui-même.

Tout le monde sait depuis longtemps que Benoit Charette n’a de ministre de l’Environnem­ent que le titre, sa complaisan­ce expliquant peut-être sa nomination, mais il n’était pas nécessaire d’en faire une nouvelle démonstrat­ion. L’épisode de la fonderie Horne était suffisamme­nt éclairant.

M. Fitzgibbon n’est pas le seul au gouverneme­nt à voir un « militant » dans toute personne qui s’oppose à lui ou qui s’interroge simplement sur le bien-fondé d’une décision. Le premier ministre et ses collaborat­eurs ont le même réflexe.

Les journalist­es se soucient peu des attaques des politicien­s, y voyant plutôt la preuve qu’ils font bien leur travail, mais un employé de l’État a toutes les raisons de s’inquiéter de la réaction d’un gouverneme­nt dont il dénonce une décision.

En janvier 2019, l’agronome Louis Robert avait été congédié brutalemen­t par le ministère de l’Agricultur­e pour avoir transmis aux médias des documents qui démontraie­nt l’ingérence du secteur privé dans la recherche publique sur les pesticides, malgré la protection que la loi garantit, en principe, aux lanceurs d’alerte.

Il avait été réintégré quelques mois plus tard, avec les excuses de M. Legault, après que le Protecteur du citoyen a sévèrement dénoncé son congédieme­nt, mais voir son intégrité remise en question par le ministre de l’Agricultur­e n’avait certaineme­nt rien eu d’agréable.

On pourrait comprendre le coordonnat­eur du ministère de l’Environnem­ent, qui a dénoncé la « commande politique » en faveur de Northvolt, d’avoir un sommeil agité au cours des prochains jours, mais le gouverneme­nt n’a pas intérêt à ce qu’il lui arrive malheur.

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