Insupportables militants
L’impayable ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, y est allé d’une nouvelle attaque contre les journalistes « militants » qui entretiennent une « méfiance malsaine » envers le projet Northvolt. « Je peux vous assurer qu’il n’y a pas eu de grand complot pour avantager Northvolt », a-t-il déclaré mardi devant la Chambre de commerce de Québec, invitant
« ceux qui veulent inventer des histoires » à écrire des romans et « les jeunes rigoureux, curieux et impartiaux » — il aurait pu ajouter « dociles » —, à devenir journalistes.
M. Fitzgibbon devra maintenant ajouter à sa liste d’ennemis publics les fonctionnaires du ministère de l’Environnement, qui dénoncent vertement — c’est le cas de le dire — la « commande politique » que leur ministère a accepté d’exécuter en donnant le feu vert à l’entreprise suédoise.
Ce « militant » impénitent qu’est le collègue Thomas Gerbet, de Radio-Canada, a obtenu copie de lettres sans équivoque que le coordinateur de l’équipe d’analyse et d’expertise du ministère pour la région du Bas-SaintLaurent, Ghislain Côté, a adressées à ses supérieurs et au ministre Benoit Charrette.
Selon lui, « le ministère a accepté de jouer le jeu de la politique et de mettre de côté, l’instant d’un dossier, sa mission ». Il n’accepte pas que les experts du ministère portent le chapeau pour ce passe-droit. « Si c’est une décision qui relève du ministre, assumez-la. La Loi sur la qualité de l’environnement vous en donne le droit, mais ne faites pas porter de fardeau aux équipes qui oeuvrent, normalement, en toute indépendance. »
Thomas Gerbet a aussi obtenu l’enregistrement d’une réunion interne du ministère qui traduit bien le profond malaise qu’a créé toute cette opération. Alors que le sousministre adjoint aux autorisations gouvernementales et aux opérations, Daniel Labrecque, reconnaît que certains fonctionnaires se posent des « questions légitimes », la sous-ministre Marie-Josée Lizotte parle d’une tempête médiatique « déplorable » et « injuste ».
L’expérience du troisième lien, qui a déclenché la dégringolade de la CAQ, n’a manifestement pas suffi à faire comprendre au gouvernement que l’hypocrisie entourant un projet peut être plus dommageable que le projet lui-même
La tempête n’est pas près de se calmer. La présidente de l’Association des biologistes du Québec, Marie-Christine Bellemare, a formulé de la façon la plus diplomatique possible la question que tout le monde se pose : « On se demande si tout est fait dans les règles de l’art. Est-ce qu’il y a eu de la pression ? Est-ce que les personnes qui sont intervenues ont eu de la marge de manoeuvre ? »
Les anomalies semblent si nombreuses que toute cette opération ressemble à un immense simulacre où toutes les règles ont été bafouées. Ghislain Côté a raison : plutôt que de raconter des histoires que personne ne peut croire, le gouvernement aurait mieux fait d’assumer sa décision et d’expliquer que la venue de Northvolt lui apparaissait à ce point essentielle qu’elle justifiait une exemption.
Le sondage que la firme Léger a réalisé pour le compte de Northvolt indique que 72 % des résidents du secteur où l’usine sera implantée estiment qu’il s’agit d’un « bon projet », malgré les interrogations qu’il soulève. Dans l’ensemble du Québec, un sondage Pallas Data commandité par un collectif de groupes environnementaux évalue l’appui à 53 %, mais la même proportion condamne l’attitude du gouvernement.
L’expérience du troisième lien, qui a déclenché la dégringolade de la CAQ, n’a manifestement pas suffi à faire comprendre au gouvernement que l’hypocrisie entourant un projet peut être plus dommageable que le projet lui-même.
Tout le monde sait depuis longtemps que Benoit Charette n’a de ministre de l’Environnement que le titre, sa complaisance expliquant peut-être sa nomination, mais il n’était pas nécessaire d’en faire une nouvelle démonstration. L’épisode de la fonderie Horne était suffisamment éclairant.
M. Fitzgibbon n’est pas le seul au gouvernement à voir un « militant » dans toute personne qui s’oppose à lui ou qui s’interroge simplement sur le bien-fondé d’une décision. Le premier ministre et ses collaborateurs ont le même réflexe.
Les journalistes se soucient peu des attaques des politiciens, y voyant plutôt la preuve qu’ils font bien leur travail, mais un employé de l’État a toutes les raisons de s’inquiéter de la réaction d’un gouvernement dont il dénonce une décision.
En janvier 2019, l’agronome Louis Robert avait été congédié brutalement par le ministère de l’Agriculture pour avoir transmis aux médias des documents qui démontraient l’ingérence du secteur privé dans la recherche publique sur les pesticides, malgré la protection que la loi garantit, en principe, aux lanceurs d’alerte.
Il avait été réintégré quelques mois plus tard, avec les excuses de M. Legault, après que le Protecteur du citoyen a sévèrement dénoncé son congédiement, mais voir son intégrité remise en question par le ministre de l’Agriculture n’avait certainement rien eu d’agréable.
On pourrait comprendre le coordonnateur du ministère de l’Environnement, qui a dénoncé la « commande politique » en faveur de Northvolt, d’avoir un sommeil agité au cours des prochains jours, mais le gouvernement n’a pas intérêt à ce qu’il lui arrive malheur.