Québec lance une ligne d’aide psychologique pour les élus municipaux
Le ministère des Affaires municipales a investi deux millions de dollars dans ce service de soutien
Devant un exode inédit au sein des conseils municipaux, le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) débourse deux millions de dollars supplémentaires pour offrir une aide psychologique de première ligne aux quelque 8000 élus du Québec, sans exclure de sévir contre les citoyens qui s’en prennent à eux.
L’annonce de la ministre Andrée Laforest survient moins d’une semaine après la démission de la mairesse de Gatineau, France Bélisle, en raison d’un climat « hostile » dans l’arène municipale.
Présente mercredi matin à Rivièredu-Loup, dans le Bas-Saint-Laurent, la ministre n’a pas écarté d’imposer des mesures punitives contre les personnes qui se comportent de façon inacceptable avec les conseillers et maires. Un sondage mené par l’Union des municipalités du Québec (UMQ) indique que 74 % des élus disent avoir subi du harcèlement ou de l’intimidation dans le cadre de leur fonction.
« Nous allons vraiment bien englober le tout » avec des mesures législatives à venir, a laissé entendre la ministre. Elle a rappelé que la Commission municipale du Québec avait déjà toutefois des outils pour lutter contre les « citoyens quérulents ».
Une aide de première ligne
La Fédération québécoise des municipalités (FQM) et l’UMQ seront responsables de la ligne téléphonique d’aide, disponible dès maintenant autant pour les élus que pour leurs proches.
« Pour prendre soin de son monde, il faut pouvoir aussi prendre soin de soi », a réagi Julie Bourdon, mairesse de Granby et trésorière de l’UMQ.
La ministre Laforest envisage également de graver dans la loi une formation obligatoire pour toutes les personnes qui accèdent à un poste électif, et ce, dès les prochaines élections municipales, prévues en 2025
Mireille Lalancette, autrice d’un rapport commandé par le MAMH intitulé La gestion par les élues et élus municipaux des actes et propos violents, haineux ou déplacés à leur égard, salue les mesures annoncées mercredi.
« Les élus se retrouvent dans une impasse, indique-t-elle au Devoir. Ce sont des titulaires de charge qui n’ont pas accès à un programme d’aide ou à un avocat. Ça les place isolés et à la merci des gens : devant une situation problématique, ils ne savent souvent pas à quel saint se vouer et s’ils obtiennent de l’aide, c’est souvent à leurs frais. »
Vague de démissions
Le Québec fait face à une vague de démissions jamais vue dans le milieu municipal. Au moins 741 élus ont jeté l’éponge depuis l’élection de novembre 2021. Le départ fracassant de France Bélisle a d’ailleurs soulevé une vague de soutien et libéré une parole aux quatre coins du Québec, avec une multitude de maires et de conseillers
qui ont, depuis, dénoncé les conditions d’exercice de leur fonction.
La jeune mairesse de Chapais, Isabelle Lessard, a démissionné en novembre dans la foulée d’une éprouvante saison des feux de forêt aux portes de sa municipalité. Épuisée et inquiète pour sa santé mentale, elle avait dénoncé le manque de ressources d’aide prévues pour les élus.
En octobre, la mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, avait annoncé son retrait temporaire pour des raisons de santé, sur avis de son médecin. Au début de février, elle a aussi évoqué les tensions au conseil municipal et le travail de sape de l’opposition.
La mairie de Québec est elle-même embourbée, depuis une semaine, dans des allégations de climat « toxique » qui auraient culminé dans les couloirs de l’hôtel de ville lors d’une escarmouche musclée entre deux élus.
« Malheureusement, il faut parfois qu’il y ait des événements tragiques pour que nous agissions, déplore Mireille Lalancette. Actuellement, par contre, ce sont surtout des femmes qui démissionnent, et c’est dommage parce que le palier municipal leur permet de faire leurs premières armes en politique. »
Dans une lettre ouverte publiée lundi, la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, a appelé à un changement de « culture politique ».
Sur X, Mme Fournier a elle aussi salué l’annonce de la ministre Laforest. « Heureusement, on avance, a écrit la mairesse de Longueuil. Plus les élus seront soutenus et outillés, mieux la démocratie se portera. » Des propos qui font écho à ceux de sa collègue de Montréal, Valérie Plante, pour qui soutenir les élus, « c’est soutenir la démocratie ».
« On l’a beaucoup entendu dans les derniers jours : les élus sont des êtres humains, a quant à lui ajouté le maire de Laval, Stéphane Boyer, sur le réseau X. Ce service de soutien psychologique fera une réelle différence pour plusieurs. »
D’autres élus restent sur leur faim
D’autres élus, réunis sous la bannière d’une coalition qui regroupe une trentaine de maires et de conseillers, disent rester « sur leur faim » après l’annonce de la ministre. « C’est un premier pas, mais il est loin d’être suffisant » et il « ne règle pas le problème à la source », écrit le groupe par communiqué.
« C’est comme dire aux victimes : “soignez-vous vous-même”, déplore Sylvain Pillenière, conseiller municipal de Lotbinière. Cette annonce ne contribue aucunement à mettre fin aux comportements inacceptables qui sont source de détresse. » D’autres, à l’instar de la conseillère de La Minerve, Darling Tremblay, craignent que la mesure soit « un coup d’épée dans l’eau » si les personnes à l’origine de comportements problématiques ne reçoivent aucune formation pour « changer leur façon de faire ».