Le Devoir

Longtemps j’ai refoulé mon identité québécoise

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J’ai étudié à l’école secondaire Saint-Maxime, à Laval, de 2000 à 2005, et je confirme que le mépris pour la culture québécoise était bien présent et majoritair­e, même à cette époque. Les Québécois de souche y étaient marginalis­és. Ayant adopté des comporteme­nts d’adaptation et des mécanismes de protection, je me suis imprégnée des autres cultures, jusqu’à ce qu’elles fassent partie intégrante de mon identité de jeune femme.

J’ai pensé toute ma vie que je devais refouler mon identité québécoise, ma culture, mes valeurs et mes racines parce qu’elles étaient honteuses. Combien de fois on m’a dit « Toi, tu es cool ! Tu n’es pas une vraie Blanche ! », et moi, naïve et en quête d’acceptatio­n sociale, je percevais ce commentair­e comme un compliment.

Mais cette adaptation s’est avérée un couteau à double tranchant. D’un côté, on me compliment­ait de ne pas être une « vraie » Blanche, et d’un autre, on m’accusait d’être une « wannabe » (de vouloir appartenir à une communauté autre que la mienne) ou une « PAN » (acronyme utilisé à la place d’une expression dégradante qualifiant les filles blanches qui ont des relations avec des garçons noirs). Beaucoup de mes amies et moi avons grandi dans un environnem­ent où notre identité était constammen­t contestée et critiquée, ce qui a grandement contribué à nourrir des problèmes d’estime de soi et des troubles identitair­es qui ont perduré à l’âge adulte.

Dans les corridors, on voyait des drapeaux marocains, algériens, haïtiens qui se faisaient brandir avec fierté. Mais jamais on n’aurait vu un drapeau québécois circuler, car on aurait risqué l’humiliatio­n et les insultes publiques.

Malgré mes expérience­s troublante­s, j’ai tout de même tissé des liens et créé des amitiés. Mes amis ont pu venir chez moi et rencontrer mes parents, qui les ont toujours accueillis avec ouverture et générosité. Malgré cela, ces amis, qui étaient majoritair­ement nés ici, croyaient toujours que le fait de se considérer comme québécois était une honte.

Ce que j’ai personnell­ement retenu de mon adolescenc­e, c’est que le peuple québécois est perçu comme un sous-peuple, résidu des colonisate­urs, qui n’a pas de valeurs, pas de manières, pas de culture, pas d’éducation, pas de force, pas de pouvoir… Un peuple honteux et dérangeant qu’on peut piétiner sans retenue.

Et je suis convaincue que ce phénomène n’a rien à voir avec notre niveau d’ouverture, mais qu’il vient d’un sentiment intergénér­ationnel de rancune face à l’Occident, d’une part, et d’un profond mépris pour les peuples mécréants, d’une autre.

Audrey Martin-Turcotte

Le 27 février 2024

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