Garder des écoles dans le noir lors de l’éclipse, vraiment ?
Il s’agit pourtant d’une si belle occasion d’apprentissage dans un contexte scientifique réel
Le lundi 8 avril prochain, en milieu d’après-midi, le sud du Québec sera témoin d’un phénomène rare et spectaculaire : une éclipse totale de Soleil, la dernière de ce type visible en nos contrées avant l’an 2106.
On pourrait croire qu’un tel événement serait souligné par les écoles et les centres de services scolaires (CSS) de partout dans la province, qui en feraient un moment d’apprentissage scientifique dont les élèves se souviendraient longtemps. Mais la réalité est tout autre : plusieurs CSS ont plutôt décidé de s’en laver les mains en fermant les écoles cette journée-là, décrétant un congé pédagogique « spécial » au nom de la sécurité des élèves et de l’apparente difficulté d’observer l’éclipse sans danger.
Il n’est pas faux de dire que l’observation d’une éclipse de Soleil pose des risques bien réels pour qui ne sait pas protéger ses yeux adéquatement. En temps normal, il est impossible d’observer le Soleil à l’oeil nu : sa brillance nous aveugle et provoque le réflexe de fermer les yeux et de détourner le regard. Mais lors d’une éclipse de Soleil, plus particulièrement durant les phases partielles profondes qui précèdent et suivent la totalité, la Lune masque une fraction importante du disque de notre étoile ; vient alors un temps où le Soleil est globalement moins aveuglant, mais où chaque élément de sa surface encore visible est tout aussi brillant qu’avant. Une observation sans protection d’un tel « croissant de Soleil » peut provoquer des brûlures irréparables à la rétine.
Que faire, alors ? Enfermer les élèves dans leurs classes ? Les confiner dans le sous-sol à la maison ? Ce sont là des solutions lâches, indignes de notre rôle d’enseignant et d’éducateur. Mercredi, l’Association pour l’enseignement de la science et de la technologie au Québec a d’ailleurs qualifié de « délire total » la décision de certains CSS de fermer les portes de leurs écoles le 8 avril prochain.
Il existe heureusement des façons tout à fait sécuritaires d’observer une éclipse de Soleil et qui permettent même aux plus jeunes de profiter pleinement du spectacle. On parle beaucoup ces jours-ci des lunettes d’éclipse homologuées, que plusieurs ont réussi à se procurer, mais qui sont devenues très rares sur le marché depuis que le public a pris conscience de ce qui nous attend le 8 avril prochain. Il serait périlleux de se tourner vers l’achat en ligne, puisque plusieurs personnes de mauvaise foi ont senti la bonne affaire en mettant en marché des lunettes dont on ne peut vérifier la qualité. En cas de doute, mieux vaut s’abstenir.
Rappelons que les lunettes d’éclipse (les vraies) bloquent plus de 99,99 % de la lumière du Soleil, ce qui permet de l’observer sans danger. On peut bien sûr partager une même paire de lunettes avec plusieurs personnes, qui observent à tour de rôle l’éclipse pendant quelques secondes. Il existe aussi des moyens d’observation indirects, encore plus sécuritaires, où l’on observe une image du Soleil éclipsé projetée au fond d’une boîte à chaussures ou sur un drap blanc posé au sol. À cet effet, une simple passoire fait des miracles ! Il s’agit certainement de la méthode à privilégier avec les plus jeunes. Le site Éclipse Québec (eclipsequebec.ca) regorge de conseils et de trucs d’observation pour admirer l’éclipse en toute sécurité.
La totalité de l’éclipse du 8 avril prochain se produira autour de 15 h 30, selon le lieu d’où l’on observe. On peut comprendre les autorités scolaires de se gratter la tête en se demandant quoi faire, puisque ce moment de la journée correspond généralement à la fin des classes et au retour des élèves à la maison, souvent en transport scolaire. On ne peut raisonnablement demander à la personne qui conduit l’autobus de surveiller en même temps les élèves — et qui veut observer une éclipse totale depuis un autobus scolaire ?
Plusieurs CSS ont annoncé des consignes claires et inventives afin d’assurer un encadrement adéquat des élèves en les retenant à l’école jusqu’en fin d’après-midi cette journée-là : décalage des heures de classe, retard du transport scolaire, activités spéciales en service de garde, etc. Avec un minimum de formation offerte par les CSS euxmêmes ou des organismes voués à la promotion d’une observation sécuritaire de l’éclipse, il est tout à fait possible pour le personnel enseignant des écoles de superviser une observation de l’éclipse sans danger pour les élèves.
Au secondaire, on pourrait même imaginer quelques expériences simples à mener durant l’éclipse, sous la supervision des personnes enseignantes en science, comme des mesures de la luminosité ambiante, de la variation de la température et de la pression barométrique, la vitesse et la direction du vent, etc. Quelle belle occasion d’apprentissage dans un contexte scientifique réel !
De l’avis d’un grand nombre d’observateurs, une éclipse totale de Soleil est le spectacle le plus saisissant que la nature ait à nous offrir, et les amateurs n’hésitent pas à voyager aux quatre coins du monde pour se tenir, ne seraitce que quelques minutes, dans l’ombre de la Lune. Le 8 avril prochain, nous aurons la chance de pouvoir assister au phénomène de notre cour arrière, littéralement, et ce sera une occasion unique d’en faire profiter tous les élèves du Québec. Qui sait quelles vocations scientifiques naîtront de cette expérience d’une vie ? À condition, bien sûr, de ne pas en priver les élèves…