Des policières d’ici en terrain congolais
Pour Casques bleuEs, Louise Leroux a suivi des agentes qui forment la police locale à la réalité des violences sexuelles
Pendant deux mois, la cinéaste Louise Leroux a suivi des policières québécoises déployées par l’ONU en République démocratique du Congo (RDC) afin de former les forces de l’ordre locales à la réalité des violences sexuelles. Le documentaire Casques bleuEs met en lumière le travail de ces agentes travaillant auprès de femmes ravagées par 30 ans de conflits.
Dans le long métrage, une Congolaise de 25 ans raconte s’être fait couper les deux pieds par des assaillants. Devant elle, Martine Le Royer, qui était alors agente du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), l’écoute attentivement, tout en murmurant « oh, mon Dieu… » « On a rencontré des femmes extrêmement abîmées par la vie, mais qui gardent le sourire quand même », témoigne Mme Le Royer en entrevue au Devoir.
Durant son mandat d’un an dans ce pays d’Afrique centrale, qui a pris fin en avril 2023, la policière montréalaise relate avoir vu des choses « très difficiles ». La femme de 55 ans avait pourtant déjà pris part à une mission internationale dans un territoire meurtri : elle avait été déployée en 2002 au Timor oriental, en Asie du Sud-Est.
Or, la situation en RDC est très « complexe », soutient celle qui est retraitée depuis mai dernier. La population est prise en étau entre les groupes armés qui se disputent les ressources naturelles, explique-t-elle.
Exposer la violence
La cinéaste Louise Leroux a tenu à exposer des images de Congolaises aux corps lacérés dans son documentaire. Car elle estime qu’il est difficile de saisir l’ampleur de l’horreur qui se déroule dans ce pays sans l’avoir vue. « Ici, le corps des femmes est un champ de bataille, et le viol est une arme de destruction massive », affirme la réalisatrice au début du documentaire.
En entrevue au Devoir, Mme Leroux confie qu’elle voulait aborder ce sujet depuis un moment, mais se demandait comment faire. « Quand j’ai su que j’avais des compatriotes québécoises qui prenaient leurs cliques et leurs claques pour aller s’impliquer dans ce pays, j’ai senti que j’avais le droit d’y aller », détaille celle qui cumule 25 ans de métier. Seule avec sa caméra, la réalisatrice s’est jointe aux soldates de la paix pour sillonner l’est de la RDC à bord de véhicules blindés. Celle qui a fait ses classes à l’ONF, notamment auprès des cinéastes Jacques Godbout et Michel Brault, s’est donc immiscée dans un univers difficile d’accès.
Et comme dans son documentaire Femmes des casernes (2020), où elle suivait des pompières montréalaises, Louise Leroux s’est faite discrète afin que les intervenantes oublient sa présence. « Le but était de capter la réalité la plus brute possible. »
Pour Louise Leroux, cette incursion dans la mission des agentes de la paix a été si intense qu’il lui a fallu quatre semaines pour se remettre sur pied en revenant au Québec. « J’ai pu vraiment saisir la réalité de ces policières, et aussi la vivre. En étant avec elles pendant deux mois là-bas, j’ai ressenti leur stress, notamment quand il y avait des alertes à la bombe. »
« Survivre » à la mission
Durant leur mission, les casques bleues travaillent sept jours sur sept. Chaque deux ou trois mois, elles partent toutefois ailleurs pour se reposer pendant environ trois semaines, avant de revenir en poste.
Pendant son mandat, Martine Le Royer a entre autres fait un séjour nécessaire au Canada, à l’été 2022. Peu de temps avant, de violentes manifestations avaient éclaté à Goma, dans l’est du pays. Des gens s’insurgeaient alors contre la mission de l’ONU en RDC. « J’ai eu peur, se remémore-telle. Il y a quatre membres de l’ONU qui sont décédés pendant ces émeutes. Il y a aussi eu beaucoup de civils qui ont été blessés et tués. »
De retour en Afrique après son repos au Canada, Mme Le Royer s’est accrochée à son travail à Bunia, une ville du nord-est de la RDC. Elle était responsable d’y ouvrir un bureau spécialisé en violences sexuelles basées sur le genre.
« J’avais des policiers qui étaient super motivés et qui voulaient comprendre et apprendre à bien accompagner les victimes », souligne Martine Le Royer. Cela fait partie de ce qui lui a permis de « survivre à cette mission difficile », ajoute-t-elle.
Malgré tout, Mme Le Royer garde espoir pour l’avenir de la République démocratique du Congo. Les changements devront toutefois venir des autorités, souligne-t-elle. « Mais ça ne sera vraiment pas facile », ajoute du même souffle l’ancienne policière. D’autant qu’après 25 ans de présence en RDC, l’ONU a amorcé un retrait progressif de ses troupes à la demande du gouvernement congolais.
Ces derniers temps, l’est du pays connaît d’ailleurs une escalade de violence. « Je suis inquiète. Je suis toujours en lien avec des personnes qui sont devenues mes amis, des Congolais qui me donnent des nouvelles chaque semaine. Je suis inquiète », répète-t-elle.