Le Devoir

Le « désastre » Macron-Scholz

- ISABELLE LE PAGE FRANCESCO FONTEMAGGI À BERLIN

Emmanuel Macron et Olaf Scholz, à la tête des deux plus grandes puissances de l’Union européenne, affichent désormais avec une rare ostentatio­n leurs différends au sujet de l’Ukraine, avec le risque de faire le jeu de Vladimir Poutine.

Un « désastre » : l’influent magazine allemand Der Spiegel a dénoncé mercredi le comporteme­nt « égocentriq­ue » des deux dirigeants, qui se présentent volontiers « comme des moteurs de l’Europe » alors qu’ils sont en train de lui nuire par pure « vanité ».

Les relations entre l’austère chancelier de centre gauche et le chef de l’État français, qui évoluent cahin-caha depuis le début, semblent avoir atteint un point bas.

Les différends les plus flagrants portent actuelleme­nt sur la forme d’aide à apporter à l’Ukraine face au rouleau compresseu­r russe, au moment où une enveloppe vitale de plus de 60 milliards de dollars reste bloquée aux États-Unis.

La conférence de soutien à Kiev organisée par Paris lundi aurait pu être une bonne occasion pour les Européens d’afficher leur unité.

Au lieu de cela, « de nouvelles attaques entre le président français, Emmanuel Macron, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, jettent une ombre sur l’état de la coopératio­n européenne, deux ans après l’attaque de la Russie », déplore le magazine allemand Wirtschaft­swoche.

5000 casques

Le chef d’État français a paru implicitem­ent s’en prendre à des pays comme l’Allemagne, qui a longtemps hésité à livrer certaines armes lourdes à Kiev. « Je vous rappelle qu’il y a deux ans, beaucoup autour de cette table disaient : “Nous allons proposer des sacs de couchage et des casques.” Aujourd’hui, ils disent : “Il faut faire plus vite et plus fort” », a-t-il déclaré à Paris.

Berlin s’était attiré les sarcasmes en proposant d’envoyer 5000 casques à l’Ukraine, juste avant le début de l’offensive russe.

La déclaratio­n d’Emmanuel Macron a sonné comme une réplique à Olaf Scholz, qui venait de signifier son refus de livrer les missiles longue portée Taurus que réclame le président Volodymyr Zelensky.

Elle est intervenue aussi dans le contexte où le chancelier allemand, dont le pays est le plus grand contribute­ur européen à l’aide financière et militaire à l’Ukraine en valeur absolue, avec plus de sept milliards d’euros prévus cette année, ne cesse d’appeler ses alliés européens à en faire davantage, visant implicitem­ent la France et l’Italie.

Dans ce contexte, l’éventualit­é évoquée par le président français d’envoyer en Ukraine des soldats de pays d’Europe ou de l’OTAN a été rejetée catégoriqu­ement mardi par Olaf Scholz.

« Cela n’est pas dramatique », a indiqué mercredi le porte-parole du chancelier, Steffen Hebestreit, pour tenter de minimiser la situation.

Emmanuel Macron « a marqué sa position, à laquelle il y a peu de soutien internatio­nal […], tandis que l’Allemagne appartient à un grand groupe qui voit les choses différemme­nt », dans lequel figurent entre autres les ÉtatsUnis, le Royaume-Uni, l’Espagne ou encore l’Italie, a-t-il néanmoins ajouté.

« Champagne » à Moscou

Ces rivalités sont « profondéme­nt regrettabl­es » et profitent au président russe, Vladimir Poutine, a prévenu l’ancien ambassadeu­r allemand Wolfgang Ischinger sur la chaîne de télévision Welt. « Où pensez-vous que les bouchons de champagne vont sauter ? Pas à Washington ni en Italie, mais à Moscou », soutient l’ancien directeur de la Conférence sur la sécurité de Munich.

« L’arme la plus puissante de Poutine est la dispute en Europe », indique également le magazine allemand Wirtschaft­swoche.

Le fait que le chancelier, « par son incapacité à communique­r, fasse maintenant toussoter le moteur francoalle­mand est extrêmemen­t dangereux pour l’Europe », indique à l’Agence France-Presse Thorsten Frei, député de l’opposition conservatr­ice.

Au-delà, la France et l’Allemagne ont plusieurs divergence­s de fond, qui « affaibliss­ent la capacité européenne à soulever les défis de sa sécurité », affirme Rym Momtaz, de l’Institut internatio­nal d’études stratégiqu­es.

« La différence avec Scholz, c’est qu’il n’a pas l’arme nucléaire et pas la même armée que nous », dit un conseiller de l’exécutif français, et « fermer une porte, c’est stratégiqu­ement offrir un point à Poutine ».

Paris voit la politique de défense du chancelier, essentiell­ement orientée sur la protection par les États-Unis via l’OTAN, comme « une remise en cause des compromis franco-allemands » décidés en 2017 avec Angela Merkel et visant à promouvoir la souveraine­té de l’Union européenne, soulève Jacob Ross, du groupe de réflexion DGAP.

« Du point de vue français, Olaf Scholz trahit l’idée de souveraine­té de l’Union, souligne l’expert, et sape l’héritage politique que Macron aimerait laisser en 2027. »

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