Le Devoir

Fitzgibbon dénonce le travail de deux journalist­es dans le dossier Northvolt

- BENOIT VALOIS-NADEAU

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a critiqué ouvertemen­t le travail de deux journalist­es couvrant le dossier de la méga-usine de Northvolt dans un courriel adressé à un citoyen.

Alain Gaulin, avocat et membre du Mouvement d’action régional en environnem­ent (MARE), a écrit jeudi aprèsmidi au ministre Fitzgibbon, ainsi qu’au ministre de l’Environnem­ent Benoit Charette et à la députée d’Huntingdon, Carole Mallette, pour déplorer, entre autres, ce qu’il considérai­t comme des « attaques personnell­es » contre les journalist­es de la part du gouverneme­nt.

Une heure plus tard, il a eu la surprise de voir apparaître dans sa boîte courriel une réponse signée par M. Fitzgibbon, dans laquelle ce dernier s’en prend au travail d’Alexandre Shields, du Devoir, et de Thomas Gerbet, de Radio-Canada.

« Je respecte le journalism­e “rigoureux”, qu’importe les conclusion­s qu’ils en tirent. Shields et Gerbet sont selon moi des “militants” journalist­es de mauvaise foi qui tordent les faits pour arriver à passer leur message. Heureuseme­nt, ils n’influencen­t pas la population. Mais je me devais de décrier qu’ils tordent les faits », a écrit le ministre de l’Économie dans un courriel dont Le Devoir a obtenu copie.

« Ces deux militants vont demeurer journalist­es pour longtemps et moi, je vais dans un jour rapproché quitter ce métier de politicien, ce n’est pas vrai que je vais laisser de telles faussetés être écrites », a poursuivi M. Fitzgibbon dans sa missive, avant de conclure que si « Gerbet et Shields étaient responsabl­es de l’avenir du Québec, j’ai bien peur que le recul du Québec serait fatal ».

« J’écris régulièrem­ent à des ministres, généraleme­nt sur des enjeux environnem­entaux, mais je ne m’attendais pas à recevoir une réponse. Surtout que c’était évident que c’est M. Fitzgibbon lui-même qui a répondu, pas un attaché politique », a précisé M. Gaulin, qui dit n’avoir jamais rencontré ou parlé à M. Fitzgibbon dans le passé.

Questionné­e par Le Devoir, l’équipe de M. Fitzgibbon a confirmé que le courriel provenait bel et bien de la main du ministre.

« Le ministre dit en privé ce qu’il dit en public. Il reprend ici ce qu’il a dit lors de son passage à la CCIQ [Chambre de commerce et d’industrie de Québec] », a dit son attaché de presse, Mathieu St-Amant.

Mercredi, devant des gens d’affaires de la capitale, M. Fitzgibbon a qualifié de « faux » un article tiré du site Web de Radio-Canada, qui affirmait que le seuil pour déclencher un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) pour la fabricatio­n de cathodes avait été relevé de 50 000 à 60 000 tonnes à la demande de Northvolt.

« Les gens qui veulent inventer des histoires devraient écrire des romans. Les militants devraient publier des essais », a ajouté le ministre.

Le 19 février dernier, M. Fitzgibbon s’en était également pris à « certains militants et certains journalist­es tout aussi militants » dans une lettre ouverte publiée par La Presse.

« Le ministre a expliqué, pendant son discours à la CCIQ, avec un exemple clair, ce qu’il reprochait à l’article de M. Gerbet, il aurait pu aussi prendre un texte de M. Shields. La réponse donnée à M. Gaulin et son discours public à la CCIQ expliquent bien son point de vue », a précisé l’attaché de presse du ministre.

Le cabinet du premier ministre François Legault s’est refusé à tout commentair­e sur les déclaratio­ns de Pierre Fitzgibbon.

« Déplorable » et « inacceptab­le »

Le président de la Fédération profession­nelle des journalist­es du Québec (FPJQ), Éric-Pierre Champagne, a qualifié de « déplorable­s » et d’« inacceptab­les » les propos du ministre Fitzgibbon.

« Que des élus s’attaquent comme ça au travail des journalist­es, c’est très décevant, a-t-il affirmé en entrevue. [M. Fitzgibbon] attaque l’intégrité de la profession. Est-ce qu’on verrait un élu critiquer ainsi les médecins, les avocats, les agronomes ? Aucune autre profession ne pourrait se faire attaquer de cette façon-là. C’est effarant de voir à quel point les journalist­es et les médias ont le dos large. Je trouve ça très préoccupan­t. »

M. Champagne s’est également inquiété des effets sur le grand public des sorties récentes de M. Fitzgibbon contre les journalist­es.

« En dénigrant comme ça le travail des médias et des journalist­es, on contribue à la méfiance du public. On parle d’un super-ministre en position d’autorité au sein du gouverneme­nt. Il a beaucoup d’influence. Alors, quand quelqu’un comme ça tient de tels propos, c’est dur d’imaginer que ça n’a aucune influence dans la société. »

« S’il y a une crise de confiance envers les médias, c’est entre autres parce qu’il y a de plus en plus de politicien­s qui se permettent de remettre en question la légitimité et l’intégrité du travail journalist­ique, uniquement pour des fins politiques », a soutenu le président de la FPJQ.

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