Le Devoir

Navalny enterré en présence de milliers de ses partisans

Dans la journée, les forces de l’ordre russes ont procédé à « au moins 128 interpella­tions »

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Des milliers de personnes ont assisté vendredi à Moscou, malgré le risque d’être arrêtées, aux obsèques d’Alexeï Navalny, le principal détracteur de Vladimir Poutine, mort le 16 février dans des circonstan­ces troubles en prison.

Dans la journée, les forces de l’ordre ont procédé à « au moins 128 interpella­tions dans 19 villes », au cours de rassemblem­ents tenus en hommage à l’ancien militant anticorrup­tion, selon l’ONG spécialisé­e OVD-Info.

Présents en nombre avec des fleurs, pour certains en pleurs, les soutiens d’Alexeï Navalny ont scandé « Non à la guerre ! », « Nous ne t’oublierons pas ! » ou encore « Nous ne pardonnero­ns pas ! ».

Après une courte cérémonie dans une église où sa dépouille a été exposée dans un cercueil ouvert conforméme­nt au rite orthodoxe, en présence notamment de ses parents mais en l’absence de sa femme Ioulia, l’opposant a été mis en terre au cimetière de Borissovo, ont constaté des journalist­es de l’AFP.

Au moment de l’inhumation a retenti la bande-son du film Terminator 2, qui, selon Alexeï Navalny, était le « meilleur film jamais réalisé », a expliqué sa porte-parole, Kira Iarmych.

De nombreuses personnes ont ensuite défilé devant sa tombe.

Plus tôt, dans l’église, son corps avait été montré pour la première fois au public, couvert de dizaines de fleurs rouges et blanches, tandis que l’assistance tenait des cierges. Ceux ayant réussi à entrer dans le petit édifice ont pu apercevoir son visage blême et aux traits déformés.

À l’extérieur, tandis que la police antiémeute avait parsemé la zone de barrières, des milliers de personnes se sont rassemblée­s, formant une très longue file. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président français, Emmanuel Macron, ont d’ailleurs tour à tour salué leur « courage ».

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait quant à lui averti qu’il y aurait de potentiell­es sanctions en cas de participat­ion à toute manifestat­ion « non autorisée » à l’occasion de ces funéraille­s.

« C’est douloureux »

Dans un message d’adieu publié sur les réseaux sociaux, Ioulia Navalnaïa a remercié, de l’étranger, son mari pour « ces 26 années de bonheur absolu ».

« Je ne sais pas comment je vais vivre sans toi, mais je vais faire de mon mieux pour que là-haut tu sois heureux et fier de moi », a-t-elle ajouté.

« Papa, tu as toujours été et tu resteras pour toujours mon modèle », a quant à elle écrit sa fille, Dacha, sur Instagram, évoquant la « gentilless­e », l’« optimisme » et le « sens de l’humour » de son père, son « héros ».

Le frère de l’opposant, Oleg Navalny, a pour sa part diffusé des photos montrant les deux hommes ensemble, accompagné­es de la légende : « Dors tranquille, mon frère, et ne t’inquiète de rien. »

Alexeï Navalny est mort à l’âge de 47 ans dans une colonie pénitentia­ire de l’Arctique, et ses collaborat­eurs, Ioulia Navalnaïa ainsi que les Occidentau­x ont accusé Vladimir Poutine d’avoir été responsabl­e de son décès, ce que le Kremlin nie.

Après avoir tardé à remettre sa dépouille à ses proches, les autorités russes s’y sont finalement résolues le week-end dernier.

L’ambassadri­ce américaine et ses homologues français et allemand se sont rendus sur les lieux des obsèques, de même que trois figures de l’opposition encore en liberté : Evguéni Roïzman, Boris Nadejdine et Ekaterina Dountsova.

« C’est douloureux, des gens comme lui ne devraient pas mourir, des gens honnêtes, avec des principes, prêts à se sacrifier », a dit Anna Stepanova.

Selon Maxime, un informatic­ien de 43 ans ayant requis l’anonymat, Alexeï Navalny a « montré la liberté ».

Denis, un bénévole de 26 ans oeuvrant dans une associatio­n caritative, a de son côté souligné s’être grâce à lui « intéressé à la politique », dans une Russie où la désaffecti­on des jeunes pour ces questions est très élevée, sur fond de répression grandissan­te de toute opposition.

Hommages en Europe

L’équipe d’Alexeï Navalny avait appelé les Moscovites à lui faire leurs adieux sur place et ses sympathisa­nts dans les autres villes à aller se recueillir devant des mémoriaux.

Des actions publiques gênantes pour le pouvoir, deux semaines avant l’élection présidenti­elle (du 15 au 17 mars prochain), qui devrait prolonger le règne de Vladimir Poutine.

Des rassemblem­ents pour honorer la mémoire de l’opposant ont également eu lieu à l’étranger. À Londres, environ 300 personnes ont scandé « Navalny ! Navalny ! » en face de l’ambassade de Russie.

À Berlin et à Belgrade, elles étaient quelques centaines, aussi à proximité de la représenta­tion diplomatiq­ue russe. Et à Paris, quelques dizaines de personnes se sont regroupées en silence sous la pluie au Trocadéro, non loin de la tour Eiffel.

Avant son empoisonne­ment en 2020, auquel il avait de justesse survécu et pour lequel il mettait en cause Vladimir Poutine, puis son arrestatio­n et sa condamnati­on à 19 ans de prison pour « extrémisme », Alexeï Navalny parvenait à mobiliser massivemen­t, en particulie­r à Moscou.

Son mouvement, qui s’appuyait sur des enquêtes dénonçant la corruption des élites russes, a été méthodique­ment démantelé ces dernières années et nombre de ses collaborat­eurs se sont retrouvés derrière les barreaux ou en exil.

Ioulia Navalnaïa s’est malgré tout engagée à poursuivre le combat de son mari et Léonid Volkov, un allié de l’opposant, a promis que son équipe « n’abandonner­ait pas », car « le bien l’emporte toujours sur le mal ».

Je ne sais pas comment je vais vivre sans toi, mais je vais faire de mon mieux pour que là-haut tu sois heureux et fier de moi

IOULIA NAVALNAÏA»

 ?? ASSOCIATED PRESS ?? La dépouille d’Alexeï Navalny a été exposée dans un cercueil ouvert, conforméme­nt au rite orthodoxe, en présence notamment de ses parents, mais en l’absence de sa femme, Ioulia, à Moscou.
ASSOCIATED PRESS La dépouille d’Alexeï Navalny a été exposée dans un cercueil ouvert, conforméme­nt au rite orthodoxe, en présence notamment de ses parents, mais en l’absence de sa femme, Ioulia, à Moscou.

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