Le Devoir

Le printemps de l’immobilier

- GÉRARD BÉRUBÉ

En pleine crise de l’abordabili­té, on voudrait bien croire en un rebond précoce du marché immobilier au printemps. Mais entre immo et démo…

Le président et chef de la direction de Royal LePage disait en janvier croire que « le discours selon lequel le marché immobilier ne rebondira que lorsque la Banque du Canada abaissera les taux rate la cible ». Cette reprise commencera « lorsque les consommate­urs seront convaincus que la maison qu’ils achètent aujourd’hui ne vaudra pas moins demain. Nous prévoyons que ce point de bascule se produira au premier trimestre, avant l’assoupliss­ement très attendu du taux directeur de la Banque du Canada ». Sans compter l’impact de l’entrée en scène des spéculateu­rs et investisse­urs.

Il insistait sur l’importance du sentiment, de la confiance de l’acheteur. « La reprise précoce du marché sera déclenchée par des signes de stabilité des prix de l’immobilier, et nous en sommes très proches actuelleme­nt. » Il pointait en direction de la vigueur du marché du travail. « Les gens travaillen­t et le chômage est particuliè­rement faible dans la tranche démographi­que clé de 25 à 55 ans. Les dépenses discrétion­naires sont en baisse et les niveaux d’épargne sont sensibleme­nt plus élevés que la normale […] Nous pensons que beaucoup de ceux qui ont besoin d’un logement ont la capacité d’entrer sur le marché… »

Si cela se confirme, cette perspectiv­e ne peut qu’atténuer quelque peu les effets de la crise de l’abordabili­té du logement, qui est appelée à s’exacerber au fur et à mesure que le piège démographi­que se refermera sur le Canada. Déjà que le PIB canadien affiche une récession depuis la fin de 2022 lorsque mesuré par personne ! Et les économiste­s de la Banque Nationale d’enchaîner : « Nos décideurs politiques […] doivent reconnaîtr­e qu’au-delà d’un certain nombre, la croissance démographi­que est un obstacle à notre bien-être économique. Le fait que le PIB réel par habitant soit au point mort depuis six ans en est un bon exemple. »

Immo et démo

Selon la définition d’Oxford Economics, un piège démographi­que survient lorsque l’augmentati­on de la population est à ce point rapide que toute l’épargne disponible est utilisée pour maintenir le ratio capital-travail, ce qui rend impossible toute augmentati­on du niveau de vie. Les économiste­s Stéfane Marion et Alexandra Ducharme, de la Banque Nationale, rappellent que la population du Canada a augmenté de plus de 1,2 million en 2023, « un chiffre incroyable si l’on considère qu’il fait suite à un rebond de 825 000 en 2022 après la récession COVID ». L’on parle d’un taux de croissance démographi­que de 3,2 %, soit cinq fois plus que la moyenne de l’OCDE.

Il en est résulté un questionne­ment sur la capacité économique et sociale du Canada d’absorber une telle augmentati­on. Ce défi n’est nulle part plus évident que dans le domaine du logement, où le déficit de l’offre a atteint un nouveau record, avec seulement une mise en chantier pour 4,2 personnes entrant dans la population en âge de travailler. « Pour répondre à la demande actuelle et réduire l’inflation des coûts de logement, le Canada devrait doubler sa capacité de constructi­on à environ 700 000 mises en chantier par an, un objectif inatteigna­ble. »

Benjamin Tal, économiste en chef adjoint de Marchés mondiaux CIBC, estime pour sa part que les besoins en matière de logement sont largement sous-estimés. « Le Canada a besoin de construire 5 millions d’unités résidentie­lles de plus en 2030, ce qui est bien loin de l’estimation largement retenue de 3,5 millions d’unités. La raison ? Cette cible repose sur une mauvaise projection de la croissance démographi­que », souligne l’économiste, tout en déplorant qu’il n’y ait pas de cibles, de projection­s ou de plans crédibles pour les résidents non permanents.

Oxford estime de son côté que ses nouvelles projection­s suggèrent que la rapide immigratio­n internatio­nale va pousser la population canadienne à 42 millions en 2025, soit une hausse record de 3 millions ou de 8 % depuis 2022. « Ce qui ne peut qu’exercer une pression sur l’insuffisan­ce d’offre de logements, spécialeme­nt à des fins locatives, et sur les infrastruc­tures et services publics. »

Peu d’immigrants se portent acquéreurs de leur propriété à leur arrivée, ce qui alimente les pressions haussières sur les loyers. Cette dynamique n’empêchera pas une correction de 5 à 10 % des prix immobilier­s d’ici le milieu de 2024, croit la firme d’analyses, mais à plus long terme, une population accrue va alimenter une hausse à la fois des prix des maisons et des loyers si l’offre immobilièr­e ne prend pas suffisamme­nt d’expansion.

Dans une analyse antérieure, Oxford avait repris des données de 2012 de Statistiqu­e Canada qui, disait-elle, demeurent pertinente­s dans une conjonctur­e d’inaccessib­ilité record. Ainsi, seulement 8 % des immigrants achètent une maison à leur arrivée. De plus, 79 % des résidents non permanents optent pour la location. Pour sa part, le recensemen­t de 2021 indique que 42 % des immigrants vivant au Canada depuis moins de cinq ans s’en remettent à la location. Après cinq ans, ce pourcentag­e tombe à 18 %. On peut ainsi mieux comprendre cette pression haussière qui s’exerce d’abord sur les loyers, puis sur le prix des maisons, exacerbée qu’elle est par le déséquilib­re entre l’offre et la demande de logements.

Piège démographi­que

Pour la première fois dans l’histoire moderne, le Canada est pris dans un piège démographi­que qui a historique­ment toujours été réservé aux économies émergentes. « Notre population croît si rapidement que nous n’avons pas assez d’épargne pour stabiliser notre ratio capital-travail et augmenter le PIB par habitant. […] En fait, le stock de capital privé non résidentie­l par habitant diminue depuis sept ans et n’est actuelleme­nt pas plus élevé qu’en 2012, alors qu’il atteint un niveau record aux États-Unis », résument les économiste­s de la Nationale.

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