Le Devoir

Le monteur Werner Nold, figure clé du cinéma d’ici, nous a quittés

Les techniques novatrices de ce pionnier de l’ONF contribuèr­ent à l’entrée du cinéma québécois dans la modernité

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Sans doute le nom de Werner Nold, décédé mercredi soir à 90 ans des suites d’une pneumonie, n’est-il pas connu du grand public. Il devrait néanmoins l’être. En effet, les techniques novatrices de ce monteur contribuèr­ent à l’entrée du cinéma québécois dans la modernité. Cela lors de son passage à l’Office national du film, à partir du début des années 1960. Au cours des 35 années où il travailla à l’ONF, Werner Nold collabora avec Gilles Carle, Pierre Perrault, Michel Brault, Denys Arcand, Jean-Claude Labrecque, Jean Beaudin, Francis Mankiewicz…

Né à Samedan, en Suisse, en 1933, Werner Nold fut captivé dès l’enfance par la magie du cinéma. Lors d’un entretien réalisé chez lui en 2010, il nous avait confié s’être précipité derrière l’écran de cinéma, gamin, dans l’espoir d’y trouver Charlie Chaplin à l’issue d’un film.

Des années plus tard, son rêve fut exaucé. « J’étais si intimidé que je n’ai rien trouvé à lui dire », admettait alors en riant celui qui venait de recevoir le prix Albert-Tessier, la plus prestigieu­se distinctio­n dévolue au septième art au Québec.

En 1955, au début de la vingtaine et diplômé en photograph­ie, Werner Nold quitta la Suisse et s’installa au Québec. En 1961, après quelques années en tant que caméraman et réalisateu­r à la télévision, il décrocha un poste à l’ONF. Dans l’intervalle, sa passion pour le cinéma n’avait fait que croître. Bien que n’ayant jamais étudié le montage à proprement parler, Werner Nold avait des idées toutes personnell­es quant aux techniques qu’il pourrait utiliser dans ses nouvelles fonctions.

Dans le même entretien, il révélait : « J’ai pris conscience qu’en photograph­ie, et même en réalisatio­n, dont j’ai tâté, j’étais esclave des règles apprises. Un type pouvait capter un contre-jour très expressif avec son appareil photo, mais moi, à côté, je ne me le permettais pas parce qu’on m’avait enseigné que photograph­ier un contre-jour, cela ne se faisait pas. À l’inverse, j’ai abordé le montage sans a priori et sans contrainte parce que je n’avais aucune formation dans le domaine. »

Dans Le dictionnai­re du cinéma québécois, Michel Coulombe et Marcel Jean donnent entre autres exemples de procédés signatures : « Nold prend plaisir à insérer dans la structure des séquences autonomes, petits films dans le film. » Les résultats sont non seulement concluants, mais épatants. Rapidement, la jeune garde de cinéastes réclame Werner Nold pour le montage de ses films : Pour la suite du monde, La vie heureuse de Léopold Z, Entre la mer et l’eau douce, IXE-13, Le temps d’une chasse, O.K… Laliberté, notamment.

Sans doute l’une de ses plus brillantes collaborat­ions aura-t-elle été sur le documentai­re de Jean-Claude Labrecque Les Jeux de la XXIe Olympiade. Werner Nold dut en cette occasion monter 330 608 pieds de pellicule. Dans sa lettre d’appui à son vieux complice pour le prix Albert-Tessier, Labrecque qualifiait Nold de « maître pour les cinéastes du Québec ».

Un grand soliste

Tout au long de sa carrière de monteur, il enseigna en parallèle son métier à l’Université du Québec à Montréal, à Chicoutimi, de même qu’à la Florida State University

Pour Werner Nold, la transmissi­on est en l’occurrence une valeur fondamenta­le. Ainsi, tout au long de sa carrière de monteur, il enseigna en parallèle son métier à l’Université du Québec à Montréal, à Chicoutimi, de même qu’à la Florida State University.

De 1967 à sa mort, Werner Nold a partagé la vie de Lucette Lupien, ellemême une figure importante du cinéma d’ici. C’est cette dernière qui a annoncé, vendredi matin, le décès de son conjoint.

Toujours dans Le dictionnai­re du cinéma québécois, Michel Coulombe et Marcel Jean concluent : « Si Nold choisit le montage plutôt que la réalisatio­n, c’est qu’il avoue préférer “être un grand soliste plutôt qu’un petit chef d’orchestre obscur”. Ce choix s’avère judicieux puisqu’il monte plus d’une centaine de films, parmi lesquels plusieurs oeuvres qui comptent parmi les plus réussies de la production québécoise. »

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