Jason Blum, pape de l’horreur
Le fondateur de Blumhouse, derrière des succès tels Paranormal Activity, Insidious, Get Out et M3GAN, parle épouvante
ÀHollywood, s’il est un nom associé à l’épouvante, c’est bien celui de Jason Blum. De fait, par l’entremise de sa société Blumhouse Productions, ce « pape de l’horreur » a donné au genre, depuis plus de 15 ans, un nombre assez incroyable de succès et de films influents : Paranormal Activity (Activité paranormale) et ses suites, Insidious (Insidieux) et les siennes, The Purge (La purge) et cie, Get Out, Nope (Ben non), la nouvelle saga Halloween, M3GAN, Five Nights at Freddy’s (Cinq nuits chez Freddy)… Le Devoir a pu lui parler en exclusivité, en compagnie de Jeff Wadlow, réalisateur de la plus récente production Blumhouse : Imaginary (Imaginaire), à l’affiche le 8 mars.
Variation sur le thème de la famille qui débarque dans une maison hantée à son insu, Imaginary a pour héroïne une autrice de livres pour enfants qui tente de protéger sa belle-fille d’un ami imaginaire aussi réel que malveillant.
« J’étais au milieu de plein de films The Purge et Halloween en préparation ou en tournage, et j’ai été pris d’une envie de revenir à des films plus surnaturels », se souvient Jason Blum, joint par visioconférence.
D’enchaîner Jeff Wadlow, qui a entre autres réalisé pour Blumhouse le film Truth or Dare (Vérité ou conséquence de Blumhouse):
« De mon côté, j’avais toujours voulu faire un film sur un ami imaginaire. Et j’étais emballé à la perspective de jouer sur la subjectivité ; de demander au public si c’est réel ou si ce ne l’est pas. Ce sont mes amis Greg Erb et Jason Oremland qui ont coécrit le scénario avec moi, qui ont eu cette idée d’un ourson en peluche maléfique, ce qui nous permettait en plus de nous inscrire dans le sousgenre horrifique des films de jouets maléfiques. »
Opinant aux propos de Jeff Wadlow, Jason Blum ajoute :
« Ce qui est amusant dans le film, c’est de prendre cette figure inoffensive et mignonne du camarade de jeu imaginaire, et de se demander ce qu’il adviendrait si cette entité nourrissait en réalité des desseins funestes. Une fois que nous avons commencé à en discuter, le sujet s’est révélé incroyablement fertile. »
Authentiquement terrifié
Ledit « ourson en peluche maléfique » fut créé en animatronique, c’est-à-dire au moyen d’effets dits « pratiques », physiques, et non numériques. Il s’agit, pour le compte, de l’une des signatures de Blumhouse.
« Tous les films d’horreur que je vois qui sont dotés d’effets numériques ne font que me donner encore plus envie d’en faire avec des effets pratiques », lance Jason Blum.
« Je pense que le public est très sensible à ça, quand des effets numériques sont utilisés en horreur. Ce type d’effets spéciaux est idéal pour les films de superhéros et les films d’action. Mais je crois que ce n’est vraiment pas efficace pour ce qui est d’effrayer le public ; c’est une mauvaise béquille que les gens qui connaissent mal l’horreur utilisent. J’essaie pour ma part de me tenir loin des effets numériques dans les films que je produis. Et ce n’est pas seulement le public qui peut faire la différence : ce sont également les acteurs sur le plateau. »
Partageant à l’évidence les mêmes vues sur la question, Jeff Wadlow renchérit :
« Ce que j’aime dans tant de films de Blumhouse, ce sont les performances des interprètes qui ont peur dans le film. Il est beaucoup plus facile de livrer une performance authentiquement terrifiée lorsque la chose censée vous terroriser est réellement en face de vous. »
Or, pour Jason Blum, ce souci de réalisme va au-delà des effets spéciaux : il se manifeste dans la teneur même des films qu’il contribue à concevoir ou auxquels il accepte de s’associer.
« Je suis d’avis que les grands films d’horreur parlent souvent de vrais enjeux, ou de choses auxquelles nous pourrions réellement avoir à faire face dans la vie. »
Ou à tout le moins, qui arrivent à nous faire croire à cette possibilité…
Popularité pérenne
Une autre clé du succès de Blumhouse réside dans son modèle d’affaires, qui consiste à s’en tenir à des budgets allant du très modeste au relativement modeste, pour un maximum de profits. Car l’horreur rapporte.
Ainsi, il est fréquent que le film d’horreur du moment, souvent produit par Blumhouse, prenne la tête du boxoffice nord-américain à sa sortie. Sauf que le phénomène a beau être récurrent, la presse spécialisée de l’industrie traite volontiers la chose comme une surprise, film après film.
Lorsqu’on lui demande si, selon lui, il existe encore une méconnaissance, voire un snobisme, en regard de la popularité pérenne du genre, celui qui a été nommé aux Oscar trois fois pour avoir produit Get Out et les nonhorrifiques Whiplash, et BlacKkKlansman (Opération infiltration), répond sans langue de bois :
« Ça s’est amélioré, mais il y a toujours une aversion pour l’horreur de la part de beaucoup d’artistes. En fait, bizarrement, ça vient de plusieurs représentants de vedettes — des agents, des avocats, etc. —, qui sont plutôt antihorreur. Je trouve ça stupide. Je pense que Jordan Peele, avec Get Out, est un cinéaste qui a vraiment aidé le genre en attirant beaucoup de gens qui ne se seraient pas intéressés au cinéma d’horreur autrement. L’Académie ne reconnaît toutefois pas vraiment l’horreur comme tel, et tout le monde y perd. Normalement, tout ça ne me dérange pas… Mais j’avoue que, lorsque j’essaie de convaincre une actrice ou un acteur de faire un film, et qu’elle ou il est emballé, puis que son représentant l’en dissuade ensuite, je trouve que ça manque de vision. »
Car les cinéphiles sont légion à aimer avoir peur au cinéma. Les 5 milliards de dollars américains générés jusqu’ici par Blumhouse Productions sont là pour en attester.