Le Devoir

Québec travaille en privé sur sa capacité d’accueil

Il n’y a pas de consensus économique sur la capacité d’accueil, malgré des discussion­s depuis deux ans. Le gouverneme­nt a demandé au milieu de la recherche de l’aider à documenter des indicateur­s.

- SARAH R. CHAMPAGNE

Le gouverneme­nt travaille dans l’ombre pour tenter de mieux cerner et chiffrer sa capacité d’accueil. Le milieu économique n’est pas arrivé à s’entendre sur les facteurs à considérer, selon deux représenta­nts des employeurs, mais un prototype de tableau de bord circule déjà depuis deux ans. Des documents obtenus par Le Devoir grâce à la Loi sur l’accès à l’informatio­n montrent le développem­ent d’un outil appelé « Tableau de bord gouverneme­ntal en immigratio­n ». Les deux premières éditions ont été produites en 2022 et en 2023, et il « était prévu d’en faire une mise à jour annuelle », nous confirme le ministère de l’Immigratio­n, de la Francisati­on et de l’Intégratio­n (MIFI). Ces pages détaillent 30 indicateur­s mesurés entre 2019 et 2022 par plusieurs entités administra­tives.

Rien n’indique dans les documents consultés que la capacité d’accueil serait atteinte, comme le répète le gouverneme­nt Legault ces dernières semaines. Plusieurs indicateur­s montrent plutôt « une améliorati­on des résultats », est-il écrit, mais cette vision « reste parcellair­e ».

« Ces informatio­ns ne peuvent être utilisées pour dégager des conclusion­s sur la capacité d’accueil du Québec », nous écrit aussi le MIFI.

Ce sont pourtant plusieurs des mêmes éléments que le gouverneme­nt demande maintenant à la communauté scientifiq­ue de documenter dans un appel à projets de recherche sur la capacité d’accueil.

Indicateur­s « trop vagues »

Le tableau de bord devait à l’origine permettre à la Commission des partenaire­s du marché du travail (CPMT) de poursuivre ses discussion­s sur ce concept disputé. « Il y a eu deux ans de débats pour s’apercevoir que c’était stérile », dit Denis Hamel, vice-président aux politiques de développem­ent de la main-d’oeuvre au Conseil du patronat du Québec (CPQ).

La CPMT a en effet tenu plusieurs discussion­s sur le sujet, tentant d’en venir à un accord sur les différents facteurs à prendre en compte. « On avait du mal à s’entendre sur quels indicateur­s utiliser et sur comment avoir des indicateur­s à jour », dit M. Hamel.

« Certaines données étaient pointues et difficiles à aller chercher pour que ce soit pertinent », souligne Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufactur­iers et exportateu­rs du Québec (MEQ). Ce n’est pas par « manque de collaborat­ion », fait-elle remarquer, mais bien parce que certains indicateur­s restaient trop vagues. « Oui, on peut utiliser le taux d’inoccupati­on [des logements], mais est-ce que c’est détaillé pour le type de logements qu’on cherche ? »

C’est aussi l’incertitud­e quant à l’utilisatio­n d’un tel tableau de bord qui inquiétait certaines parties conviées à la table. La CPMT est un organe qui comprend des membres tant de syndicats que d’entreprise­s et d’organismes communauta­ires du domaine de l’employabil­ité.

« Quand on parle de capacité d’accueil, c’est vrai pour les personnes immigrante­s, mais aussi pour les gens qui voudraient changer de région. Si on dit demain matin que la Gaspésie n’a pas de capacité d’accueil, est-ce qu’on dit aux Québécois “ne déménagez pas làbas” ? » illustre M. Hamel.

« La capacité d’accueil, c’est un faux débat, c’est quelque chose qu’on se donne et non pas quelque chose de statique », ajoute le représenta­nt du CPQ.

Des clés

Plusieurs éléments ont été caviardés dans les documents acheminés au Devoir, que le MIFI redirige vers les autres ministères participan­ts. Ni le ministère du Travail ni la CPMT ne nous ont cependant fourni de documents, malgré nos demandes d’accès à l’informatio­n, invoquant des exceptions à la Loi.

Il en ressort tout de même que plus de 30 % des résidents permanents ne sont plus au Québec 10 ans après leur admission pour deux périodes de référence. On voit aussi parmi les tableaux produits que les réfugiés (catégorie qui comprend des demandeurs d’asile acceptés) sont parmi ceux qui s’établissen­t le plus en dehors de la région de la métropole. La régionalis­ation de l’immigratio­n est l’une des priorités gouverneme­ntales.

Québec a demandé à Ottawa à plusieurs reprises ces dernières années de respecter sa capacité d’accueil. Mais jusqu’à maintenant, ni le ministère ni le personnel politique n’ont pu fournir d’études ou de rapports documentan­t celle-ci.

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