Le Devoir

La recette secrète beauceronn­e

Près d’un millier de travailleu­rs immigrants sont arrivés au paradis québécois des PME dans la dernière année

- JEAN-LOUIS BORDELEAU INITIATIVE DE JOURNALISM­E LOCAL À SAINT-MARTIN LE DEVOIR

Près d’un millier de travailleu­rs temporaire­s ont déménagé en Beauce dans la dernière année. Et quelque 1000 autres sont attendus dans les 18 prochains mois. Pour faire entrer tous ces gens au paradis québécois des PME, les Beaucerons ont concocté une recette bien à eux.

À Saint-Martin, 2600 habitants, 5 gestionnai­res en ressources humaines prennent place autour d’une table. Chacune des entreprise­s représenté­es emploie entre 5 et 40 travailleu­rs étrangers temporaire­s. Cette réunion est cruciale, car « sans eux, une ligne [de production] sur trois ne fonctionne pas », mesure l’une des mandataire­s.

« J’ai un logement à combler situé en face [du restaurant]. Je cherche quelqu’un pour louer vite. Très vite. J’en aurais besoin pour… hier. » On hoche de la tête. On prend des notes. Le message est passé : un nouveau locataire ne devrait pas tarder.

Les cinq spécialist­es énumèrent leurs problèmes. Comment réduire les longs délais pour inscrire un travailleu­r à un cours de français ? Quid des permis pour « travailleu­rs vulnérable­s » ? Quoi de neuf avec la reconversi­on du presbytère en logements ? Et puis voici un petit guide pour entrer dans le système de santé…

Pas le choix de se faire part des bons coups ; le gouverneme­nt peine à répondre à toutes les demandes, se désole Fanny Lessard, du Carrefour jeunesse-emploi de Beauce-Sud, qui dirige cette conversati­on entre entreprise­s. « À Service Canada, pour trois appels, tu as trois personnes et trois réponses différente­s. C’est classique. »

Une heure plus tard, le tour est joué. Le conciliabu­le de Saint-Martin se donne rendez-vous dans trois mois.

Le scénario se répète de village en village depuis 2021. Huit municipali­tés beauceronn­es participen­t à cette initiative particuliè­re à la MRC de Beauce-Sartigan, les Structures d’accueil et d’intégratio­n municipale­s (SAIM). « Ça sert à ça : parler des enjeux, trouver des solutions. “C’est défaillant. On fait quoi avec ça ?” » résume l’agente de développem­ent rural pour la MRC, Johanne Journeau.

Des régions avoisinant­es commencent à regarder par-delà les vallons pour s’inspirer de cette méthode. C’est à se demander comment les PME des autres villages font pour suivre le rythme. « Ça change tellement vite que si l’on manque une seule réunion, on perd le fil », note l’une des représenta­ntes en ressources humaines. « Le gouverneme­nt ne nous envoie pas de feuilles pour nous signifier ses changement­s. »

Saint-Éphrem et le nouveau villageois

Saint-Éphrem-de-Beauce, une localité d’environ 2400 habitants, prévoyait d’accueillir 15 travailleu­rs temporaire­s l’an dernier. Pas moins de 57 y ont finalement débarqué. Le rythme est si soutenu que les résidences disponible­s ne fournissen­t pas. L’une des rues du village n’est « pas encore construite que les terrains ont déjà trouvé preneur » pour du « multilogem­ent », explique le directeur général de la municipali­té, Bastien Thibaudeau.

Bien entendu, ces dizaines de nouveaux arrivants subissent quelques remarques désobligea­ntes de la part d’Éphremois d’origine. Cela tient de la fausse note, aux dires de Danielle Breton, qui orchestre l’intégratio­n dans la municipali­té. La preuve : un cours d’espagnol s’ouvre ces jours-ci dans l’école du coin afin de satisfaire la curiosité des habitants.

C’est plutôt le rythme effréné du travail en usine qui devient le problème des villages de la Beauce. Danielle Breton enjoint aux entreprise­s de refuser les offres de travail supplément­aire des immigrants afin de faciliter leur intégratio­n. « Le succès, ça part des entreprise­s, des municipali­tés, des personnes impliquées. [Nos messages] passent mieux quand les entreprise­s communique­nt l’informatio­n. »

L’afflux de nouveaux arrivants en Beauce ne risque pas de s’estomper de sitôt, tant la demande de manoeuvres est forte. Sur les 1695 travailleu­rs étrangers temporaire­s présenteme­nt en Beauce, plus de la moitié (54 %) sont arrivés dans les 12 deniers mois. Et dans les 18 prochains mois, ce sont 1105 nouveaux immigrants qui arriveront en Beauce, ce qui comprend 170 étudiants internatio­naux, mais pas les réunificat­ions familiales, selon les données du Conseil économique de Beauce.

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