Le Devoir

Le plus québécois des premiers ministres canadiens

-

Pendant presque toutes les années où Brian Mulroney a été premier ministre du Canada, je travaillai­s pour la Fédération des francophon­es hors Québec, un groupe de lobby politique basé à Ottawa. À de multiples reprises, je l’ai croisé sur la colline du Parlement, et j’ai pu le « rencontrer » à distance lors de rassemblem­ents particuliè­rement historique­s ou marquants. Ce fut le cas le 6 juin 1987, au centre des congrès d’Ottawa, alors que tous les premiers ministres des provinces canadienne­s avaient été convoqués pour ratifier l’accord du lac Meech, négocié quelques mois plus tôt aux abords de ce plan d’eau du parc de la Gatineau. J’étais présent (dans la délégation du Nouveau-Brunswick, car mes deux patrons à la Fédération étaient des Acadiens de cette province) pour assister à cet engagement qui devait amener le Québec à signer l’entente constituti­onnelle dans « l’honneur et l’enthousias­me », comme il l’avait dit. J’ai pu voir de mes propres yeux combien il était heureux d’avoir réussi cet exploit en regardant tour à tour ses homologues provinciau­x parapher l’entente autour de la table. On connaît la suite, celle de la réconcilia­tion avortée en raison du délai trop long, de trois ans, donné aux Parlements provinciau­x pour voter sur l’accord. Sans compter que près de la moitié des signataire­s d’origine ont quitté leurs fonctions durant ces années. Mais je considère que Mulroney a quand même réussi son pari, car il y a bien eu une entente. Il fallait avoir un front de boeuf pour aller vendre le Québec à travers le reste du Canada et lui faire une place respectueu­se, alors que Trudeau père avait si prestement craché sur son propre berceau et l’avait trahi. De mon point de vue, le p’tit gars de Baie-Comeau a été le plus québécois de tous les premiers ministres canadiens. Il n’y en aura jamais plus comme lui.

Je n’ai eu qu’une rencontre « intime » avec Brian Mulroney, quelques années après qu’il a quitté la politique active. Elle s’est passée dans l’ascenseur du siège social de Québecor, à Montréal. M. Mulroney se trouvait là pour participer à une rencontre du conseil d’administra­tion de l’entreprise, auquel il siégeait. Moi, j’y étais pour mon travail à TQS, qui avait ses studios à cet endroit. Je suis entré dans l’ascenseur alors qu’il était déjà à l’intérieur, tout fin seul. Je l’ai reconnu et lui ai aussitôt tendu la main en lui disant : « Bonjour, très heureux de vous rencontrer, Monsieur le Premier Ministre. » « Merci. Mais je ne fais plus ce travail », a-t-il répondu sur un ton blagueur, de sa voix grave si particuliè­re.

« Je sais, ai-je rétorqué, mais pour moi, vous resterez toujours le premier ministre. » Sylvio Morin

Beaucevill­e, le 1er mars 2024

Newspapers in French

Newspapers from Canada