Victoire éclatante pour le Québec
Le premier ministre François Legault a raison de bomber le torse : le jugement rendu jeudi par la Cour d’appel du Québec l’autorise à maintenir sa Loi sur la laïcité de l’État et confirme qu’il n’était ni excessif ni malavisé de recourir à la disposition de dérogation pour mettre ce texte législatif à l’abri de certains articles des chartes des droits afin d’éviter les contestations judiciaires. La réaction courroucée et prompte d’Ottawa à ce jugement magistral confirme que le Québec, pour affirmer une spécificité aussi cruciale que sa laïcité, n’avait d’autre option que de recourir à cette mesure constitutionnelle.
Les juges Manon Savard, Yves-Marie Morissette et Marie-France Bich ont rédigé un jugement unanime, ce qui ajoute à son caractère inattaquable. Ces trois éminents juristes ont de l’expérience et jouissent d’une excellente réputation. Leur jugement posé est dénué de l’émotion que contenait le document de première instance — le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, avait marqué sous quelques formes un fort agacement à l’endroit de la loi 21. En appel, les juges semblent au contraire avoir volontairement tenté de se détacher du politique, parfois très près du droit, pour attaquer le fond juridique de l’affaire.
L’une des pièces maîtresses de ce jugement concerne bien sûr le recours à la disposition de dérogation. Si ce sujet aride n’est pas de nature à exciter la population, il n’en est pas moins crucial. La Cour d’appel confirme que le Québec pouvait recourir à cette clause unique pour permettre à la Loi de passer outre un examen des tribunaux sur certains droits garantis par les chartes. C’est précisément ce dont le Québec avait besoin pour asseoir une loi sur la laïcité qui impose un interdit du port de signes religieux à certains employés de l’État. À l’évidence, elle risquait de subir le test des tribunaux sur des aspects comme la liberté de religion ou d’expression ou le droit à l’égalité.
Voilà précisément ce qui irrite le gouvernement de Justin Trudeau, qui s’offusque de deux choses : que le Québec semble éluder certaines libertés fondamentales, et qu’il ait l’audace de brandir la disposition de dérogation de manière préventive plutôt qu’en dernier recours. Le Québec n’est pas le seul à avoir vu là une manière de protéger son autonomie législative, car d’autres provinces, dont l’Ontario et la Saskatchewan, ont fait de même.
La Cour d’appel rassure le Québec : oui, « le législateur peut recourir au pouvoir de dérogation prévu par l’article 33 de la Charte canadienne de manière purement préventive ». Et oui, le principe de cette clause est précisément de retirer aux tribunaux le loisir d’examiner si une loi viole des droits fondamentaux, « laissant aux organes politiques et à l’électorat le soin de trancher la question ». Si l’on ne peut nier que l’existence des dispositifs de dérogation prévus dans les deux chartes « soulève des critiques », écrivent les juges, le débat a été fait, et « ce n’est pas aux tribunaux de colmater les failles, s’il en est, d’un choix constitutionnel (ou législatif) que d’aucuns estiment malavisé ». On ne saurait être plus d’accord.
La Cour d’appel vient aussi corriger une incongruité causée par le juge de la Cour supérieure, qui avait littéralement créé deux régimes dans le système scolaire en concédant au réseau anglophone le privilège d’être exempté de la loi 21 sur la base d’un article de la charte canadienne qui protège l’éducation dans la langue de la minorité. Les juges estiment que la portée de cet article a été mal interprétée, et ils cassent l’exemption dont bénéficiaient les commissions scolaires anglophones pour recruter des enseignants exhibant des signes religieux.
Le Devoir maintient que la Loi sur la laïcité de l’État montre une incohérence en soumettant les enseignants à ses préceptes — les éducatrices des services de garde, sises à la porte d’à côté, n’y sont pas soumises —, mais il était intenable que deux régimes distincts cohabitent sur la base d’une différence linguistique.
François Legault jubile. Il évoque à raison une « belle victoire pour la nation québécoise ». Il promet sans détour de continuer à recourir de manière préventive à cette disposition de dérogation si c’est un moyen de faire reconnaître par le Canada la légitimité de ses choix — nous souscrivons totalement à cette intention. « Je vais toujours me battre pour qu’on fasse nous-mêmes nos propres choix », avance le premier ministre.
Cette affirmation de la souveraineté parlementaire, confirmée par la Cour d’appel, conforte la Coalition avenir Québec et sa base dans une posture autonomiste qui permet une affirmation nationale forte au sein de la fédération. C’est un positionnement qui ne garantit toutefois en rien le chemin de la facilité, bien au contraire. Le Québec, qui a déjà maille à partir avec Ottawa dans nombre de dossiers où l’on tente d’effeuiller ses compétences, doit être prêt à combattre pour défendre son statut distinct.
À voir l’assurance avec laquelle Ottawa promet de pourfendre le Québec jusqu’en Cour suprême, on comprend combien il est justifié de vouloir livrer bataille, toujours et encore.