Le Devoir

Notre Charte

- Patrick Déry Chroniqueu­r et analyste de politiques publiques, l’auteur publie également sur patrickder­y.com et Quebecspla­ining.ca.

La loi 21 est constituti­onnelle, dit la Cour d’appel. De méchants juges fédéraux, imaginez ! Pour François Legault, c’est une « belle victoire » pour le Québec, parce que « la laïcité est un principe qui nous unit comme nation ». C’est sans doute vrai pour la tarte aux pommes, Céline Dion, Denis Villeneuve et le Canadien (quand il se rend loin en séries).

Quand on y regarde de plus près, on voit vite que la loi 21 « unit » surtout les électeurs péquistes et caquistes, et moins les jeunes que les vieux. Environ le tiers des Québécois sont contre. La loi est peut-être populaire, mais elle reste sacrément clivante. On est plus dans la rivalité CanadiensN­ordiques que dans le consensus.

Sans refaire tout le débat, notons quand même que la contagiosi­té du hidjab n’a jamais été prouvée. Et que face à cette menace existentie­lle, les représenta­nts de l’État arborant un signe religieux ont hérité d’un droit acquis tant qu’ils ne changeront pas de poste. Des enseignant­es porteront encore un hidjab dans 20 ans. On a déjà vu plus grande urgence.

Mais acceptons que la loi 21 a été votée démocratiq­uement. Acceptons aussi que la loi 21 passe le test de la Charte canadienne des droits et libertés. Bien sûr, c’est plus facile quand on évite l’applicatio­n de certains articles, mais acceptons-le quand même. Et aussi que le Québec puisse se soustraire à une constituti­on qu’il n’a jamais signée. Parce que, quoi qu’on en dise et quoi qu’on fasse, on avait changé les règles en milieu de partie sans l’accord de tous les joueurs.

Acceptons enfin qu’on puisse regarder le reste du Canada droit dans les yeux sans cligner et invoquer la dispositio­n de dérogation à perpétuité, pour toutes les lois que le Québec voudra bien voter. Vous n’aviez qu’à vous arranger pour qu’on signe en 1982. D’ici là, c’est « votre » charte. Pas la nôtre.

Une fois qu’on a accepté tout ça, il reste quand même un maudit gros os : la Charte québécoise des droits et libertés est très semblable à son homologue canadienne. Son champ d’applicatio­n est même plus large, puisqu’elle s’applique aux rapports privés et non seulement à ceux avec l’État.

Voici ce que René Lévesque en disait peu avant de quitter la politique : « Le peuple québécois s’est donné en 1975 une charte des droits et libertés de la personne qui demeure, à ce jour, l’une des plus complètes qui soient au monde. Or, une telle charte, c’est l’instrument par excellence de l’affirmatio­n des valeurs d’un peuple. Elle exprime à la fois ses conviction­s les plus fondamenta­les et les choix et les arbitrages pas toujours faciles qu’il faut faire dans toute société. Elle garantit à chaque personne les conditions minimales de l’exercice de ses libertés. »

Ses conviction­s fondamenta­les. Les conditions minimales de l’exercice des libertés. C’était un engagement solennel, politique et démocratiq­ue envers les Québécois, à savoir que les droits fondamenta­ux sont inviolable­s même quand leur exercice nous dérange. Et que le gouverneme­nt du Québec s’en fera le garant.

Lévesque et Bourassa, aux extrémités de notre spectre politique, s’entendaien­t là-dessus. Parizeau, Bouchard, Landry, Charest et Couillard aussi. Pour reprendre les mots de François Legault, le respect des droits fondamenta­ux était « un principe qui nous unit comme nation ». Jusqu’à ce qu’il s’en débarrasse.

Pendant près de 50 ans, notre charte n’avait été modifiée qu’à l’unanimité des partis représenté­s à l’Assemblée nationale. Toujours pour la renforcer. Jamais pour enlever des droits. En charcutant notre charte de façon préventive — et sous le bâillon — lors de l’adoption de la loi 21, la CAQ a trahi une promesse faite à chacune et chacun d’entre nous. Le message était le suivant : vos droits et libertés sont maintenant subordonné­s à des objectifs politiques. Autrement dit, ils sont facultatif­s et sujets aux humeurs de la majorité, surtout si c’est payant électorale­ment.

Le fait qu’une majorité soit d’accord est un bien mince argument. L’existence de droits fondamenta­ux a été reconnue depuis plus de 200 ans justement pour éviter que les droits des minorités dépendent de la majorité. Les Québécois devraient le savoir, nous qui avons une langue, une culture, des lois civiles et, pendant longtemps, une religion distinctes. Comment pouvons-nous limiter les droits de nos minorités alors que nous n’avons jamais accepté qu’on limite les nôtres ?

C’est trop facile de ne protéger que les droits qui nous arrangent. La moindre des choses serait qu’on laisse la Charte québécoise des droits et libertés s’appliquer en toutes circonstan­ces et qu’on soit fiers de prendre le risque que cet outil d’affirmatio­n de nos valeurs communes ait le dernier mot. Parce que c’est notre charte.

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