Notre Charte
La loi 21 est constitutionnelle, dit la Cour d’appel. De méchants juges fédéraux, imaginez ! Pour François Legault, c’est une « belle victoire » pour le Québec, parce que « la laïcité est un principe qui nous unit comme nation ». C’est sans doute vrai pour la tarte aux pommes, Céline Dion, Denis Villeneuve et le Canadien (quand il se rend loin en séries).
Quand on y regarde de plus près, on voit vite que la loi 21 « unit » surtout les électeurs péquistes et caquistes, et moins les jeunes que les vieux. Environ le tiers des Québécois sont contre. La loi est peut-être populaire, mais elle reste sacrément clivante. On est plus dans la rivalité CanadiensNordiques que dans le consensus.
Sans refaire tout le débat, notons quand même que la contagiosité du hidjab n’a jamais été prouvée. Et que face à cette menace existentielle, les représentants de l’État arborant un signe religieux ont hérité d’un droit acquis tant qu’ils ne changeront pas de poste. Des enseignantes porteront encore un hidjab dans 20 ans. On a déjà vu plus grande urgence.
Mais acceptons que la loi 21 a été votée démocratiquement. Acceptons aussi que la loi 21 passe le test de la Charte canadienne des droits et libertés. Bien sûr, c’est plus facile quand on évite l’application de certains articles, mais acceptons-le quand même. Et aussi que le Québec puisse se soustraire à une constitution qu’il n’a jamais signée. Parce que, quoi qu’on en dise et quoi qu’on fasse, on avait changé les règles en milieu de partie sans l’accord de tous les joueurs.
Acceptons enfin qu’on puisse regarder le reste du Canada droit dans les yeux sans cligner et invoquer la disposition de dérogation à perpétuité, pour toutes les lois que le Québec voudra bien voter. Vous n’aviez qu’à vous arranger pour qu’on signe en 1982. D’ici là, c’est « votre » charte. Pas la nôtre.
Une fois qu’on a accepté tout ça, il reste quand même un maudit gros os : la Charte québécoise des droits et libertés est très semblable à son homologue canadienne. Son champ d’application est même plus large, puisqu’elle s’applique aux rapports privés et non seulement à ceux avec l’État.
Voici ce que René Lévesque en disait peu avant de quitter la politique : « Le peuple québécois s’est donné en 1975 une charte des droits et libertés de la personne qui demeure, à ce jour, l’une des plus complètes qui soient au monde. Or, une telle charte, c’est l’instrument par excellence de l’affirmation des valeurs d’un peuple. Elle exprime à la fois ses convictions les plus fondamentales et les choix et les arbitrages pas toujours faciles qu’il faut faire dans toute société. Elle garantit à chaque personne les conditions minimales de l’exercice de ses libertés. »
Ses convictions fondamentales. Les conditions minimales de l’exercice des libertés. C’était un engagement solennel, politique et démocratique envers les Québécois, à savoir que les droits fondamentaux sont inviolables même quand leur exercice nous dérange. Et que le gouvernement du Québec s’en fera le garant.
Lévesque et Bourassa, aux extrémités de notre spectre politique, s’entendaient là-dessus. Parizeau, Bouchard, Landry, Charest et Couillard aussi. Pour reprendre les mots de François Legault, le respect des droits fondamentaux était « un principe qui nous unit comme nation ». Jusqu’à ce qu’il s’en débarrasse.
Pendant près de 50 ans, notre charte n’avait été modifiée qu’à l’unanimité des partis représentés à l’Assemblée nationale. Toujours pour la renforcer. Jamais pour enlever des droits. En charcutant notre charte de façon préventive — et sous le bâillon — lors de l’adoption de la loi 21, la CAQ a trahi une promesse faite à chacune et chacun d’entre nous. Le message était le suivant : vos droits et libertés sont maintenant subordonnés à des objectifs politiques. Autrement dit, ils sont facultatifs et sujets aux humeurs de la majorité, surtout si c’est payant électoralement.
Le fait qu’une majorité soit d’accord est un bien mince argument. L’existence de droits fondamentaux a été reconnue depuis plus de 200 ans justement pour éviter que les droits des minorités dépendent de la majorité. Les Québécois devraient le savoir, nous qui avons une langue, une culture, des lois civiles et, pendant longtemps, une religion distinctes. Comment pouvons-nous limiter les droits de nos minorités alors que nous n’avons jamais accepté qu’on limite les nôtres ?
C’est trop facile de ne protéger que les droits qui nous arrangent. La moindre des choses serait qu’on laisse la Charte québécoise des droits et libertés s’appliquer en toutes circonstances et qu’on soit fiers de prendre le risque que cet outil d’affirmation de nos valeurs communes ait le dernier mot. Parce que c’est notre charte.