La crise des surdoses ne peut être résolue sans nous
L’administration Plante soutient la décriminalisation (en principe) et fait obstacle à sa réalisation (en pratique)
La mort tragique du jeune Mathis à la fin du mois de décembre 2023 a ramené la crise des surdoses à l’avant-scène et, avec elle, les appels à la décriminalisation de la possession de drogue. À Montréal, ces appels se heurtent toutefois à un obstacle inhabituel : presque aucun acteur ne s’oppose à la décriminalisation des drogues, mais rien n’est fait pour la mettre en oeuvre et réduire ainsi les risques de surdose.
Comme nous l’avons expliqué dans une lettre ouverte en octobre 2022, la décriminalisation des drogues est une action essentielle qui s’inscrit dans le mouvement plus large de la réduction des méfaits. Dans le cadre de cette approche, la décriminalisation des drogues réduit le nombre de décès par surdose, permet un meilleur accès aux services pour les personnes qui consomment des drogues, freine la propagation du VIH et du virus de l’hépatite C et réduit la stigmatisation associée à la consommation de drogue.
Plus ça change, plus c’est pareil
Bien que les lois sur les drogues soient régies par le gouvernement fédéral, les villes et les provinces peuvent agir pour décriminaliser les drogues sur leur territoire en demandant une exemption à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances — comme l’ont fait la Ville de Vancouver, la province de la Colombie-Britannique et la Ville de Toronto.
La Ville de Montréal est officiellement pour la décriminalisation des drogues. En 2021, le conseil municipal a adopté une motion soutenant la décriminalisation de la possession au niveau fédéral, sans toutefois s’engager à prendre des mesures à l’échelle municipale. Depuis, l’administration de Projet Montréal a affirmé à plusieurs reprises son intention d’utiliser les pouvoirs municipaux pour décriminaliser les drogues. Par exemple, en août 2023, Valérie Plante a déclaré, lors d’une réunion avec plus de 30 organismes communautaires, que son administration « souhaite continuer le travail » pour décriminaliser les drogues dans la métropole. Pourtant, des actions concrètes tardent à être prises par son administration.
Des experts secrètement mis de côté
Depuis, certaines organisations communautaires qui travaillent en réduction des méfaits ont appris que la Ville avait créé un comité d’experts pour faire avancer le dossier. Bien que ces organismes aient participé à la réunion du mois d’août convoquée par la Ville, aucun n’a été directement informé à ce sujet ni invité à y participer. Lors de la réunion du conseil municipal du 18 décembre, la Coalition Ville sans surdoses avait posé une question au sujet de ce comité. Josefina Blanco, élue de Projet Montréal et responsable de la diversité et de l’inclusion sociale, avait répondu qu’un comité avait effectivement été créé et qu’il était composé du Service de la diversité et de l’inclusion sociale, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), de la Direction régionale de santé publique de Montréal et de deux chercheurs, que Mme Blanco n’a pas cru bon de nommer.
L’approche de la Ville en matière de drogue est une profonde insulte aux populations les plus touchées par la crise des surdoses, soit les utilisateurs eux-mêmes, qui sont de ce fait les plus grands experts en la matière. Devant l’urgence de la situation, et depuis maintenant plusieurs années, les personnes qui consomment des drogues, les associations qui les représentent, les organismes en réduction des méfaits et plusieurs groupes de citoyens réclament que Montréal demande au gouvernement fédéral de décriminaliser les drogues sur son territoire.
À cet égard, le milieu communautaire montréalais s’était même engagé dans un comité de travail mené par la Ville de Montréal à l’hiver 2022. Devant l’absence de considération pour les voix des personnes concernées par les politiques mises en avant par la Ville, ces groupes ont réclamé que les personnes qui consomment des drogues soient mieux impliquées dans la démarche et qu’une consultation sur le sujet soit menée par le communautaire, pour nos communautés. Cette demande a été refusée et le comité, abandonné.
Plutôt que de travailler avec des groupes communautaires pour créer un véritable comité d’experts, l’administration de Projet Montréal a plutôt choisi de créer un comité en catimini sans impliquer les personnes directement concernées par l’initiative. Elle a cependant invité à la table le SPVM, une institution qui harcèle et met en danger ces personnes chaque jour. Il est évident qu’un tel projet ne peut réussir qu’avec l’expertise des personnes et des organisations concernées. Une mairesse qui affirme si souvent ses liens passés avec le milieu communautaire devrait connaître le principe démocratique fondamental du « rien sur nous sans nous ».
Les Montréalais méritent des actions concrètes
Trois ans après une motion du conseil municipal qui appuie la décriminalisation, l’administration de Projet Montréal n’a montré aucun engagement à faire avancer le dossier ou à travailler avec les communautés concernées pour le faire. Elle soutient la décriminalisation (en principe) et fait obstacle à sa réalisation (en pratique).
Face à cela, nous revendiquons : 1. un engagement à demander une exemption fédérale dans les six prochains mois ; 2. l’ajout de cinq organismes communautaires au comité d’experts ; 3. le retrait du SPVM de ce comité.